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Comment on écrit l’histoire (P. Veyne)

Publié le vendredi, 1 janvier 2010 dans Articles, Confluences 81

Paru dans le numéro 82 de Confluences.

Les politiques ont souvent désiré arranger l’histoire selon leur désir pour donner au citoyen la meilleure image de leur action. Qui ne se souvient de certaines photographies bidouillées pour faire disparaître tel ou tel personnage, bien en cour au moment du cliché, devenu gênant quelques lustres plus tard ? C’est là un procédé utilisé par les régimes totalitaires, que ne s’interdisent pas les gouvernements démocratiques dans certaines circonstances : la France en a usé et abusé pendant la guerre d’Algérie par exemple. Un ouvrage d’histoire édité au début des années cinquante et destiné aux petites têtes blondes titrait son dernier chapitre : « la France en paix » ! Les affaires d’Indochine et la répression à Madagascar passaient à la trappe tout comme les prémices de la pacification en Algérie ! Il fallait rassurer les enfants après les horreurs de la seconde guerre mondiale, et surtout montrer que notre pays n’était jamais en tort lorsqu’il entrait dans un conflit !

Jusqu’à preuve du contraire, aujourd’hui, nous ne sommes pas en guerre ni sous une dictature ; théoriquement, personne, dans le gouvernement ou dans l’opposition ne doit et ne peut dire comment écrire et enseigner l’Histoire : chaque historien, chaque enseignant vérifie l’exactitude des faits qu’il doit traiter et ensuite donne son interprétation en la confrontant au déroulement des événements, et à leur analyse. Ils peuvent atteindre ainsi une forme d’impartialité. On imagine difficilement nos politiques dans ce type de réflexion ; dans le meilleur des cas, engagés dans l’action immédiate, ils ne peuvent prendre le recul dont use l’historien ; et s’ils sont malhonnêtes, ils auront à dessein de déformer la réalité, soit pour donner d’eux une meilleure image, soit pour gommer ce qui dans la connaissance des événements pourrait dévoiler leur action et ternir leur réputation. Le vingt-huit octobre 2008, le ministre de l’éducation s’était demandé devant une commission de la représentation nationale s’il n’appartenait pas au gouvernement de fixer les grands thèmes historiques à enseigner. Cocasse ! A quand les philosophes « conseillés », les hommes de lettres « honnis », les économistes « officiels » ? LE CLEZIO ne fera sans doute pas partie des auteurs recommandés, puisque, sauf erreur, il n’a été que froidement félicité par nos officiels pour son prix Nobel. Quant à Madame de LAFAYETTE, elle n’aurait écrit que des vieilleries ; et SPINOZA était un « crypto-mécréant » ! On croit rêver ou plutôt cauchemarder ! Fort heureusement ce ministre a été envoyé dans les cordes et sa proposition a disparu ! Mais elle révélait un état d’esprit pour le moins « douteux ».

Jean-Pierre SHIEP

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