TRAVAIL SALARIE ET TRAVAIL GRATUIT, un texte de Patrick MIGNARD
TRAVAIL SALARIE ET TRAVAIL GRATUIT
Faire travailler les chômeurs et /ou celles et ceux qui, sans emplois, bénéficient d’aides est devenu la véritable obsession des gouvernants.
La mesure – qui vient d’être prise par le « Président des Riches » en imposant un travail aux allocataires du RSA – apparaît à la fois comme logique et scandaleuse et, de la même manière, les défenseurs d’une telle mesure hésitaient à l’appliquer par crainte de désapprobation, les adversaires peinant à en démonter le mécanisme.
Pour y voir clair dans cette affaire, revenons à quelques fondamentaux du système marchand.
TRAVAIL ET SALARIAT
Deux concepts sont fondamentaux :
– le travail ;
– la force de travail.
Le travail est l’acte par lequel il y a création de la valeur, de la richesse.
Son statut, eu égard à l’individu qui l’accomplit, est déterminé par les relations sociales qui constituent le système de production à un moment donné. Par exemple, le statut social du travail dans le système esclavagiste est différent du statut social du travail dans le système du salariat (capitalisme).
L’évolution de ces différents statuts constitue l’essentiel de ce que l’on appelle, l’Histoire ;
Dans le cas du salariat, le travail est l’acte par lequel il y a la création de la richesse dans des conditions sociales qui sont spécifiquement les siennes. La mise au travail de l’activité humaine crée de la richesse, mais l’on sait que cette richesse créée n’appartient pas à celui, le salarié, qui la crée. D’où l’origine du profit qui est en gros la différence entre la valeur réellement produite et la part (salaire) accordée au salarié.
D’où une 1er remarque essentielle : le salaire n’est pas l’intégralité de la valeur produite par l’activité du salarié. Le salaire n’est que la part de valeur créée, accordée par l’employeur afin que le salarié puisse reproduire sa capacité de travail afin de demeurer producteur de richesses, autrement dit sa capacité de travail.
Ce que reçoit le salarié, n’est donc pas la valeur qu’il a produit mais l’équivalent valeur de ce dont il a besoin pour, économiquement et socialement, exister.
Il faut noter que cette réalité a été remplacée, dans le discours officiel, par une explication totalement mystificatrice, qui consiste à dire que le salaire est la valeur équivalente au travail fourni… Or ceci est complètement faux. S’il en était ainsi on se demande bien où serait le profit que le propriétaire du Capital met dans sa poche.
La force de travail – mis à la disposition, moyennant salaire, de l’employeur, n’est donc qu’un moyen entre les mains de celui-ci pour créer et accumuler de la richesse. Elle n’a pas d’autre fonction… ce qui explique que, ayant un statut de marchandise, elle fait l’objet, sur le marché dit « du travail » – en fait de « la force de travail » – d’une transaction commerciale, l’acheteur (le chef d’entreprise) ne l’achète que s’il en a besoin.
D’où une 2e remarque tout aussi essentielle que la première : l’emploi de la force de travail n’est pas liée au fait qu’elle procure un emploi au salarié, mais uniquement à l’utilité économique que lui reconnaît l’employeur.
Autrement dit, le fameux « Droit au Travail » n’est qu’une mystification.
FORCE DE TRAVAIL ET CHOMAGE
La situation de chômage, de sous emploi n’est donc pas un dysfonctionnement du système salarial, mais bien une conséquence inéluctable de son principe de fonctionnement.
Ce n’est pas le chômeur, le sans emploi, qui est responsable de sa situation, mais l’état du marché de la force de travail.
On peut être formé, disponible, avoir de l’expérience et… chômeur. C’est le cas de millions de salariés.
Cette situation de chômage présente pour le système, à la fois, un avantage et un inconvénient :
– l’avantage, il est double : avoir à disposition, et en fonction des besoins, de la production marchande, un potentiel de travail, mais aussi de pouvoir agir, à la baisse, sur les salaires … les offreurs de force de travail se faisant concurrence ;
– l’inconvénient : cette situation révèle, si elle est comprise, toute la perfidie sociale du système marchand qui instrumentalise la force de travail à son seul profit. Le système arrive à faire croire, avec un certain succès, idéologiquement, que cette situation est « naturelle », « indépassable »,… et que seuls les chômeurs, et autres sans emploi sont responsables de leur situation. (« Tous des fainéants ! » ou des « fraudeurs » !)
C’est entre ces deux positions contradictoires que naviguent les gestionnaires du système. Il reste cependant à trouver un cadre acceptable pour gérer le sous emploi qui devient massif et donc socialement et politiquement à terme déstabilisant.
CHOMAGE ET TRAVAIL GRATUIT
Une fois admise la fable fondée sur :
– compétitivité et rentabilité sont indispensables ;
– les chômeurs sont des fainéants ;
Il est facile au système de faire admettre qu’il est immoral d’accepter une situation dans laquelle les sans emploi recevraient une aide.
On pourrait certes imaginer une suppression de ces aides,… c’est une tentation permanente. Mais là se pose un problème à la fois politique et social : ces aides assurent une relative paix sociale et leur suppression serait vécue comme une nouvelle atteinte à des « acquis sociaux ». Il faut noter que les associations caritatives qui, en dehors de l’Etat, fournissent une aide, permettent à ce même Etat de se désengager…. Transformant une solidarité nationale en charité privée.
Il faut donc agir à un autre niveau.
« Puisque celles et ceux qui travaillent reçoivent un revenu,… celles et ceux qui reçoivent un revenu (les aides) doivent fournir un travail ».
Dit comme cela, le raisonnement parait imparable.
Mais un problème demeure.
En effet, celles et ceux qui sont privés de travail ne le sont pas de leur propre volonté, mais, nous l’avons vu, du fait des conséquences du fonctionnement du système marchand.
Si l’on oblige ces personnes à travailler, si on leur impose un type de travail, on entre dans une logique de relation sociale, autre que le salariat.
Le choix du travail n’est alors plus libre, or le système salarial fait de la liberté du salarié un principe intangible.
Et quel emploi ?
Qui va décider de la nature de l’emploi ? Quel choix ? Quel lien entre le travail proposé et la formation, les compétences de la personne ?
Devant l’amplitude du sous emploi actuel, on risque, à terme, d’avoir une catégorie de citoyens, contraints, pour survivre, d’accepter un emploi – évidemment déqualifié – soumis à des conditions de travail/rémunération parfaitement dérogatoire par rapport au droit du travail,… entraînant à terme son abolition… Ce que souhaite explicitement le MEDEF.
Accepter un telle situation, c’est accepter une dégradation gravissime des conditions de travail et donc de vie.
Au rapport salarial, source déjà d’exploitation et d’inégalités, va se substituer un rapport encore plus défavorable, ouvrant la voie à des rapports sociaux d’une autre nature.
Si cette logique se met en place, on peut faire raisonnablement l’hypothèse qu’elle va faire dans les rapports capital/travail, une forme de jurisprudence, et que la volonté du patronat de liquider une bonne fois pour toute le code du travail et toute législation sociale, trouvera là une perspective prometteuse pour accomplir ce dont il a toujours rêvé.
En l’absence de rapport de forces favorable à la force de travail, absence due essentiellement à une mondialisation marchande qui a relativisé l’importance de la force de travail locale (trop chère au regard du marché mondial), aux délocalisations qui ont entraîné une liquidation d’innombrables secteurs de production, une déliquescence totale des syndicats de salariés,… la porte est grande ouverte à une mutation du rapport capital/travail.
Le combat idéologique, entre autres, est à mener pour éviter une véritable capitulation face à la pression du capital qui ne reculera devant rien pour assurer sa pérennité.
Novembre 2011
Patrick MIGNARD
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