Publié le
mercredi, 10 février 2016 dans
Point de vue
La France est actuellement secouée par de nombreux mouvements de révolte, mouvements dont certains sont récurrents : ils reviennent périodiquement, rien n’ayant été réglé.
Ces révoltes sont des révoltes : il serait vain d’y chercher l’ébauche d’un désir révolutionnaire. Elles demandent formellement le dialogue, cherchent des interlocuteurs, attendent des rencontres. Néanmoins, on sent bien que ces révoltes n’en attendent rien. Elles expriment plutôt le fait qu’elles n’ont plus d’interlocuteurs possibles. Elles se situent au-delà de tout « dialogue ».
Une révolte n’est pas, en prime abord, une construction intellectuelle. C’est une attitude qui se dresse, s’affirme au-delà même des mots. Ou plutôt : elle parle par elle-même. Pour ceux qui se révoltent, leur attitude a la force et le mutisme d’une évidence. On affiche sa révolte, on demande qu’elle soit prise en compte. Mais on ne demande pas (plus) un quelconque dialogue, un quelconque geste d’apaisement ou un compromis.
Derrière la révolte, souvent, un sentiment d’injustice, mais une injustice qui est allée au-bout d’elle-même, qui n’attend plus aucune réparation; une forme de désespoir, mais encore soutenue par la volonté d’exister et de l’afficher.
Le mouvement actuel des agriculteurs me semble le plus emblématique. Comme le disait l’un d’eux : l’agriculture, en France, est en train de mourir et, avec elle, les agriculteurs. Les pouvoirs publics leur répondent par des primes. Mais ils n’ont que faire de ces primes, dont l’effet concret d’ailleurs s’épuise presque aussitôt. Certains se suicident. Mais on peut dire plus globalement que tous les agriculteurs qui manifestent affichent tous qu’ils sont au-bord du suicide. Sans aucune simulation, sans aucun chantage. Ils vont d’évidence en évidence. Que l’agriculture soit en train de mourir est d’une complète évidence. Les agriculteurs vont, actuellement, jusqu’à afficher son cercueil dans leurs manifestations.
Si la mort est convoquée, c’est que le métier d’agriculteur est l’engagement d’une vie, au quotidien, pour lui, sa famille, ses bêtes, son exploitation, sa terre. On est au centre d’une relation intime, dépourvue de médiation. Leur demande, par les mouvements, qu’ils engagent, est d’une formidable simplicité : que l’agriculture puisse vivre. C’est une demande de vie et d’existence concrète. La vie ou la mort : le gouvernement, dans sa formidable imbécilité, fait semblant de ne pas le comprendre.
Un élément très concret cristallise l’enjeu : le prix des produits. Ce n’est pas une question dite économique. Encore une fois : c’est une question de survie. Un prix qui permette tout simplement à l’agriculture de survivre, de se reproduire, assorti d’un faible revenu pour les agriculteurs eux-mêmes. Rien de plus, rien de moins. Or, de ce « juste » prix, il n’est jamais question. Les prix dont on parle sont, soit des prix imposés par la distribution, soit des prix de marché, tirés vers le bas par la concurrence d’agricultures industrialisées, dont l’Allemagne fournit le modèle. Associer le prix au vivre est ce dont le gouvernement ne veut pas entendre parler. Comme indiqué, Il préfère gaspiller de l’argent dans des aides ponctuelles.
A mon sens, tous les mouvements de révolte actuels sont, sur le fond, semblable à celui des agriculteurs. Le lien intime qui existe entre le travail et le vivre, l’absence de médiation (les syndicats symbolisant cette médiation fictive qui sépare beaucoup plus qu’elle n’unit). C’est ce lien intime qui fait qu’ils rassemblent spontanément toute une profession, la soudent, en font la force.
Philippe Zarifian, 10 février 2016
Illustration : Peinture de KALIE
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