POURQUOI LA FAILLITE DU MODÈLE RÉPUBLICAIN D’INTÉGRATION? Essai d’explication. Patrick MIGNARD
Publié le lundi, 8 février 2016 dans Point de vue
Le modèle d’intégration républicain est en crise… ne pas le reconnaître c’est nier l’évidence. Reste à savoir pourquoi !
S’il n’est pas mort, il est en difficulté et l’on ne voit pas trop aujourd’hui comment éviter cette lente dérive.
Les symptômes – Ils sont multiples. La tendance au communautarisme est la plus spectaculaire, mais aussi l’impuissance de l’Ecole à la fois à faciliter l’intégration et enrayer le processus de décomposition sociétal. Il faut également ajouter l’incivilité croissante et la défiance à l’égard des institutions et de l’élection. Le terrorisme actuel, certes pas spécifique à la France, mais qui montre que le modèle d’intégration n’a pas su fonctionner au niveau du pays. Enfin, sur le plan politique la montée d’un néofascisme raciste et xénophobe, ennemi irréductible de celui-ci, couronne le tout.
Un modèle daté – Il est issu des Lumières et de 1789 qui abattaient les principes hérités du féodalisme. Bien résumé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et les valeurs mises en exergue : Liberté-Egalité-Fraternité il a été le creuset politico-idéologique dans lequel s’est épanoui le capitalisme français.
Au 19e et durant une bonne partie du 20e siècle, la puissance du capitalisme français a permis à ce modèle, malgré de nombreuses entorses à son principe et ses valeurs, de donner l’illusion de la cohérence et de la solidité. Puissance économique, financière, militaire, diplomatique, culturelle, idéologique… la France portait haut un flambeau qui éblouissait la plupart des peuples.
Le pouvoir intégrateur du système économique français permettait à tous, et par la suite, toutes, de trouver plus ou moins leurs places et même d’intégrer des populations venues d’ailleurs – souvent de l’empire colonial, et peuples persécutés,… le besoin de main d’œuvre, à l’époque, étant considérable.
Les aléas de la lutte des classes, par une subtile politique de répression et d’intéressement ne compromettaient pas une relative paix sociale qui assurait la stabilité de l’ensemble. Les conflits sociaux – quoique parfois violents – n’ont jamais abouti à une rupture. Malgré les répressions anti ouvrières, les aventures coloniales, les scandales financiers, les guerres… la République française faisait toujours illusion dans le monde et se permettait même de donner des leçons.
Le retournement de situation – L’après 2e Guerre Mondiale ouvre une nouvelle ère… pas seulement pour la France, mais pour le monde entier. Aux abominations de la Guerre, se joignent les drames de la décolonisation, celle-ci annonçant le déclin de la domination du monde par les anciennes puissances industrielles. Ce n’est pas la partition du monde en deux blocs qui est déterminante sur le plan économique, mais l’effondrement des empires, la redistribution des sources d’énergie, l’apparition de nouveaux lieux de production, la mondialisation des marchés,… qui jettent les bases d’une nouvelle donne politique au sein même des anciens pays industriels. La fin de l’empire soviétique n’a fait que renforcer la tendance à la mondialisation marchande en faisant venir dans le jeu de nouveaux acteurs, tout en renforçant le mythe du capitalisme libérateur.
Le modèle républicain à l’épreuve de la mondialisation – Dés lors, les conditions objectives et subjectives de l’existence de ce modèle se transforment radicalement.
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objectives : la mondialisation marchande transforme peu à peu, au travers des développements des moyens de transports, de communication, de la circulation/mondialisation du capital, les conditions économiques et sociales qui fondaient le modèle d’intégration issu du rapport social salarial.. On assiste, en France en particulier, à la liquidation des grands secteurs de production, des services publics, délocalisations d’entreprises, financiarisation de l’économie. Le « droit au travail », donc à une vie décente, devient tout relatif…Chômage et précarité s’installent.
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subjectives : la marchandisation généralisée des relations sociales entraîne un changement du comportement individuel et collectif. L’Ecole n’apparaît plus comme un moyen d’intégration à la vie sociale. L’individualisme, fils naturel du néo-libéralisme s’installe dans les têtes. Les choix de la classe politique, faits en faveur des acteurs financiers, la discréditent aux yeux des citoyens. La suspicion succède à la confiance.…
Le socle sur lequel repose le modèle d’intégration républicain est gravement ébranlé. Le « discours républicain » de la classe politique, en total décalage avec la réalité économique et sociale, ne passe plus auprès d’une opinion publique de plus en plus méfiante.
La désagrégation du modèle – Un modèle social n’est pas, ne peut pas être, qu’un discours idéologique ; il est fondé sur une réalité sociale qui assure à la fois sa viabilité et sa cohérence. Tout ce qui constituait la société qui fondait le modèle d’intégration républicain est entrain de s’effondrer : précarisation du travail, liquidation des acquis sociaux, dégénérescence et impuissance des organisations de défense (syndicats), accroissement de la pauvreté, explosion des inégalités,… Tout ceci entraîne une perte de l’intérêt général et un repli sur soi, sur son groupe. Les exigences de la mondialisation – parfaitement assumées par la classe politique – couplée à une construction européenne bureaucratique et lointaine, fait que l’instance politique n’apparaît plus comme une référence et un recours… l’abstention politique gagne du terrain.
La société perd de son sens, donc de sa cohérence. Le discours politique sur les valeurs de la République apparaît comme dérisoire, voire démagogique – ce qu’il est souvent. La recherche de nouveaux repères entraîne une logique communautariste, d’autant plus qu’elle touche des catégories sociales marginalisées, méprisées, guettoïsées. Se greffe là-dessus un « terrorisme », pur produit des politiques absurdes et criminelles des puissances dominantes qui ont « joué avec le feu » durant la décolonisation et la période de « guerre froide ». Le racisme et la xénophobie explosent, exploités par des partis démagogues et nationalistes, voulant profiter du chaos social qui s’installe.
Dés lors, toutes les dérives sont possibles : agressions de policiers (gardiens du système), de médecins, de facteurs, d’infirmières, de pompiers, mise à sac d’Ecoles, dégradation de mobilier urbain, trafics en tous genres, corruption, vols récurrents à la ville, à la campagne, jusqu’aux profanations des cimetières…
Dans ce chaos, le discours moralisant des politiciens – dont certains, et pas des moindres, sont corrompus – n’a plus aucun effet, au contraire, il contribue à éloigner le citoyen d’une réalité qui lui échappe. Le recours à la répression, au contrôle social ne fait qu’accroître les aigreurs et souligne l’incapacité des politiques à trouver une issue à la situation.
La solution dérisoire qu’offre le système politique – changer les uns par les autres – est évidemment, elle aussi, totalement inadaptée à la situation. Seul, un changement des principes du fonctionnement économique, basé sur des valeurs authentiques de solidarité, peut éviter la catastrophe qui s’annonce
5 février 2016
Patrick MIGNARD
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