Publié le
jeudi, 12 novembre 2015 dans
Point de vue
Emmanuel Macron a présenté la future loi « Noé », visant à adapter l’économie aux bouleversements du numérique. Préparant, au passage, les esprits à une nouvelle libéralisation qui s’annonce encore plus profonde que les précédentes.
Pour la présentation des grandes lignes du projet de loi Macron 2, lundi 9 novembre au ministère de l’Économie, celles et ceux qui s’attendaient à une conférence de presse classique en ont été pour leur étonnement. Emmanuel Macron avait une nouvelle fois décidé de casser les codes. Sous des lumières bleues tamisées, une douzaine d’intervenants, dont le ministre de l’Économie, se sont succédé micro en main pour convaincre un parterre de journalistes, de chercheurs et de représentants d’organisations professionnelles des réformes à conduire face à la révolution numérique.
Opération séduction pour la future loi « Noé » – pour « nouvelles opportunités économiques » – dans une mise en scène qui tenait plus de la conférence TEDx ou du brainstorming d’affaires que de la traditionnelle communication d’État.
Storytelling patronal
« Un exercice de partage du consensus, des expériences, de la compréhension, parce que tout cela va très vite, a justifié le locataire de Bercy. Le défi qui est le nôtre est de faire réussir le pays dans ces transformations. À plus ou moins court terme, tous les secteurs seront touchés. »
Après les écueils de la première loi Macron, promulguée durant l’été, l’exercice de « partage » semblait surtout destiné à préparer les esprits à une nouvelle réforme visant à transformer l’économie en profondeur. Car l’échange avait toutes les allures d’une séance de persuasion en bonne et due forme. La tonalité des prises de parole était en effet univoque et radicalement libérale, ode à la « levée des blocages », à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’initiative individuelle.
Dans un storytelling patronal très caractéristique, Emmanuel Macron a évoqué l’« odyssée » du changement, et mis en avant « celles et ceux qui sont en train de participer à cette transformation ».
Parmi les intervenants, plusieurs dirigeants de start-up de la nouvelle économie érigés en modèles, comme Frédéric Mazzella, fondateur du site de covoiturage Blablacar. « Il faut faire pousser des milliers de fleurs, générer des milliers de start-up. Il faut une politique de l’offre qui favorise les innovateurs », s’est emporté le chirurgien et neurobiologiste Laurent Alexandre.
Transformation culturelle de la gauche oblige, la séance a mis en lumière de nouveaux éléments de langage, répétés en boucle. On parle de « licornes » pour désigner les jeunes entreprises qui réussissent – comprendre, qui deviennent leader de leur marché et pèsent un milliard – tandis que l’économie devient « disruptive », caractérisée par le changement et une nécessité d’adaptation permanente.
Big data et fonds de pensions
Sur le fond – ou sur la forme, au final on ne sait plus vraiment quel niveau prime sur l’autre – les détails du projet de loi doivent être discutés avant sa présentation en Conseil des ministres à la mi-janvier, c’est à dire en même temps que la future loi sur le travail. En attendant, Emmanuel Macron a exposé un certain nombre de lignes directrices. Dont la diversité pose question. La révolution numérique est-elle prétexte à une réforme de plus grande ampleur ?
Innovation et investissement privé.
Loin d’empêcher l’émergence des nouveaux modèles de l’économie numérique, « il faut faciliter l’émergence de ces disruptions », nous dit Emmanuel Macron. « Il faut financer très vite, très fort, sinon on se fait distancer par ceux qui mettent de l’argent sur la table », a t-il ajouté. La réforme viserait à créer un contexte fiscal favorable au développement des start-up, et à instituer des « fonds de pension à la française ». Le ministre envisage également de s’appuyer sur le big data, c’est à dire sur la collecte et l’interconnexion de grandes bases de données numériques, pour favoriser le développement de nouveaux services, citant l’exemple de la mise en relation des offres et des demandes de travail.
Formation et qualification.
Fidèle à sa grille de lecture libérale, Emmanuel Macron veut investir dans le « capital humain » pour requalifier les salariés employés dans les secteurs économiques promis à la disparition. Le ministre entend également revoir le système de qualifications professionnelles pour « libérer » l’accès à certains métiers. Sur ces différents aspects, les détails n’ont pas été précisés.
Développement de l’entrepreneuriat.
Il s’agirait ici de « faciliter l’entrepreneuriat individuel, ainsi que les transitions entre les différentes formes de statut ». Dans ce domaine, il est notamment question de réformes visant à développer le statut d’’auto-entrepreneur. « Il y a des femmes et des hommes qui ne veulent plus du salariat », a déclaré Emmanuel Macron. En contrepartie, le Compte personnel d’activité (CPA) viendrait assurer la continuité des protections. Anne Perrot, économiste au Conseil d’analyse économique, a recommandé une « généralisation du statut d’auto-entrepreneur », ainsi qu’une plus grande intégration entre marché du travail et marché des services.
Entre le soutien aux start-up et le développement de l’auto-entrepreneuriat, Macron 2 pourrait ainsi servir de véhicule à une nouvelle libéralisation du marché du travail, dont la portée dépasserait largement le cadre de l’économie numérique.
L’utopie libérale d’une « société d’entrepreneurs », liés par des contrats commerciaux enfin libérés du code du travail et de ses protections, se dessine en filigrane derrière ce projet. L’article 49-3 de la Constitution, employé à trois reprises par le gouvernement pour se passer du vote des parlementaires sur la première loi Macron, risque de ne pas être de trop pour imposer cette nouvelle régression.
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