Deux économistes, Henri Sterdyniak et Olivier Passet, viennent de faire le bilan de la loi Macron. Instructif, alors qu’après son passage au Sénat, celle-ci fera bientôt retour à l’Assemblée nationale pour adoption définitive.
« C’est en nous battant jusqu’au dernier quart d’heure que nous gagnerons ! En 2017 on aura changé le pays », a déclaré Emmanuel Macron tenant meeting à Fresnes, quelques jours avant le premier tour des élections départementales. Le moins que l’on puisse dire est que la formule, inventée par le ministre socialiste résidant Robert Lacoste durant la guerre d’Algérie, a laissé un mauvais souvenir [1]. Le ministre de François Hollande l’a-t-il remise au gout du jour par provocation, par ignorance, ou par lapsus ? En tout cas il ne l’a pas fait par hasard. Alors que la défaite du PS aux élections départementales devrait, logiquement, rouvrir le débat sur la politique du gouvernement, Emmanuel Macron s’affiche par avance en chef de file de ceux qui ne se contentent pas de refuser un changement de trajectoire à gauche, mais réclament au contraire une nouvelle accentuation des réformes libérales.
En attendant que l’affaire soit tranchée, un retour sur la loi qui porte son nom, telle qu’elle a été votée par recours au 49-3 et en attendant son retour pour adoption définitive par l’Assemblée nationale n’est donc pas inutile. Il vient d’être réalisé de façon assez exhaustive par Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE et de façon plus ponctuelle par Olivier Passet, économiste à Xerfi.
Réformes structurelles à l’européenne
L’inspiration de la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » est évidente. C’est la stratégie des « réformes structurelles » qui fait consensus dans l’Union européenne : allègement du droit du travail et libéralisation des marchés censés tout résoudre, la compétitivité, l’innovation, et les déficits publics. L’alternative, dit Henri Sterdyniak, « aurait consisté en un affrontement ouvert en Europe pour que l’Union européenne s’engage dans une politique globale comportant le soutien à l’activité, la résorption concertée des déséquilibres entre pays, la réduction de l’influence de la finance, la promotion du modèle social européen, la lutte contre le creusement des inégalités de revenus et de statut, l’engagement résolu dans la transition écologique ». C’est peu dire que le gouvernement français y a renoncé. Avec tous les autres, il pèse contre la Grèce de Syriza.
Avant d’être loi Macron, la loi devait être Montebourg et viser par priorité les rentes des professions réglementées. À l’arrivée, le texte traite de plus de deux cents sujets où la part des professions réglementées s’est fortement réduite par rapport à la place prise par l’allègement du droit du travail, de l’environnement et de la fiscalité des entreprises. Olivier Passet y décèle « des trésors cachés… pour les chefs d’entreprises » et Henri Sterdyniak « un patchwork étrange de mesures libérales (souvent contestables) et de mesures dirigistes (souvent trop détaillées) ». Mais cela n’est pas toujours contradictoire.
Sous-marins juridiques
L’extension du travail dominical dans le commerce de détail a été légitimement mise sur le devant des débats. Au bout du compte, juge Henri Sterdyniak, « elle ne le banalise pas puisque l’extension devra dépendre d’un accord collectif, prévoir des compensations et se faire sur la base du volontariat ». Mais comme il le note également, aucun minimum de compensation n’est fixé, et les employés auront-ils vraiment le choix ?
Mais selon Olivier Passet, d’autres « avancées » sans doute plus radicales ont été introduites « Concernant le droit du travail, le licenciement, et notamment tout ce qui facilite les accords à l’amiable entre salariés et employeurs, la loi introduit des modifications que certains considèrent radicales », souligne Olivier Passet :
– L’abrogation de l’article 24 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative et la modification de l’article 2064 du Code civil remet en cause l’essence même du droit du travail, basé sur le fait que la relation de subordination entre salarié et employeur ne lui permet pas de négocier d’égal à égal.
– L’employeur pourrait déroger à la loi et aux accords collectifs, à partir du moment où il obtient un accord volontaire du salarié. Et à partir du moment où les employeurs règlent leurs litiges avec le salarié par convention, les prud’hommes seraient alors dessaisis. De plus, la loi introduit un référentiel pour fixer le montant des indemnités. Les employeurs pourront ainsi s’engager aux prud’hommes avec un « risque » financier calculé d’avance et avec un risque réduit. A quoi il faut encore ajouter la simplification et la baisse des coûts des Plans de sauvegarde de l’emploi pour les entreprises.
Des avancées également « radicales » pour les entreprises concernent également les domaines financiers. L’article 34, sous prétexte de favoriser les start-up, allège la fiscalité sur les distributions d’actions gratuites pour les cadres dirigeants. L’article 35 crée une nouvelle niche fiscale pour les plans d’épargne des TPE et des petites PME, c’est-à-dire prioritairement pour leurs dirigeants.
Privatisations
La loi Macron prévoit un nouveau programme de privatisations estimé entre 8 et 10 milliards d’euros. Globalement cela n’a pas de sens alors que l’État peut actuellement s’endetter sur dix ans à des taux de 0,6%, juge Henri Sterdyniak.
L’article 47 prévoit la privatisation du GIAT qui fusionnera avec une société allemande, Wegmann, et deviendra une société franco-allemande à statut néerlandais. « Outre les problèmes que pose la perte d’autonomie de la France en matière d’armement, il est pour le moins curieux que l’on permette explicitement à une société française d’échapper à la loi française en se déclarant néerlandaise », note Henri Sterdyniak.
L’article 49 permet, après celle de l’aéroport de Toulouse, la privatisation des sociétés Aéroports de Lyon et Aéroports de la Côte d’Azur, au détriment des Chambres de commerces et des collectivités locales qui les géraient jusqu’à présent. « On voit mal ce qui justifie un affaiblissement de la capacité des pouvoirs publics à guider le développement local », apprécie l’économiste.
L’article 50 permet au ministère de la Défense de vendre ses matériels à des sociétés financières qui les lui loueront. « Absurde, compte tenu de la faiblesse actuelle des taux d’intérêt auxquels l’État s’endette, juge encore l’économiste. Il va falloir assurer le matériel et rémunérer le capital de ces sociétés, ce qui sera beaucoup plus coûteux ». Visiblement la privatisation des autoroutes n’a pas servi de leçon.
L’affaire emblématique des autoroutes
Les concessions des autoroutes aux groupes Vinci, Eiffage et Abertis organisées dans la loi de privatisation de 2006 étaient un beau gibier pour qui affichait l’ambition de s’attaquer aux rentes abusives. À l’arrivée on a… pratiquement rien.
La loi Macron prévoit une extension des pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) qui aura compétence sur la régulation des tarifs de péages autoroutiers, sur les nouvelles conventions de délégations, sur la modification des anciennes. Elle devra contrôler les procédures d’attribution des travaux publics mises en place par les sociétés concessionnaires et vérifier qu’elles sont ouvertes à des entreprises extérieures. Dans la pratique, cela ne changera rien ou presque, puisqu’il n’ y a pas de remise en cause des conventions passées et pas de compensation par un prélèvement sur les super bénéfices réalisés.
Au contraire, le rapport du groupe de travail composé de quinze parlementaires et de représentants de l’administration installé par Manuel Valls, publié le 10 mars, est une reddition en rase campagne face aux sociétés d’autoroutes. On ne touchera à rien ou presque. La rente sur les autoroutes n’existe pas, a dit en substance le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. C’est une invention de la Haute autorité de la concurrence.
Transports routiers et permis de conduire.
Le gouvernement mise par contre beaucoup sur la libéralisation des transports routiers de voyageurs et sur la diminution des délais d’obtention du permis de conduire. Selon l’étude de France Stratégie, la libéralisation des lignes de transport par autocar sur moyennes et longues distances serait susceptible de créer 22.000 emplois.
La mesure aura sans doute un effet limité juge pour sa part Henri Sterdynak. Certes, il manque en France des liaisons transversales que le train n’assure pas, mais rien ne garantit que celles-ci seront effectivement rentables. À moyen terme, selon lui, on risque un certain dépérissement du réseau des TER, alors que la hausse prévisible du prix de l’énergie et des émissions de gaz à effet de serre devrait plutôt inciter à développer le rail.
Quant aux articles concernant le permis de conduire, il les juge « stupéfiants ». Certes, il manque des inspecteurs pour faire passer les permis de conduire, de sorte que les délais sont anormalement longs. Mais, « au lieu de simplement embaucher des inspecteurs, le gouvernement passe par la loi pour privatiser le passage de l’épreuve théorique du permis B (sans oser aller jusqu’à privatiser l’épreuve pratique) ».
Au total, juge l’économiste de l’OFCE, « malgré son titre, la loi Macron comporte peu de dispositifs directement favorables à l’activité, peu de mesures favorables à l’industrie, au Made in France, à la rénovation urbaine, à celle de l’habitat, à la production de biens durables et recyclables, à une plus grande participation des salariés aux décisions dans leurs entreprises. Elle reprend plus le discours des start-up innovantes que celui du renouveau productif et de la transition écologique dont nous aurions pourtant besoin ».
Notes
[1] Début 1956, le Front Républicain (SFIO de Guy Mollet, Parti Radical de Pierre Mendes France) gagne les élections sur la base d’un programme de paix négociée en Algérie. Un mois plus tard, après une visite houleuse à Alger, Guy Mollet tourne le dos à son programme et s’engage dans l’amplification d’une guerre coloniale qui ne dit pas son nom. En février 1956, Robert Lacoste remplace le général Catroux en devenant ministre résidant et gouverneur général de l’Algérie. Il conserva le ministère de l’Algérie jusqu’au 13 mai 1958. La victoire, affirmait-il, ira à celui qui tiendra « le dernier quart d’heure ».
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