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Les défenseurs de la forêt de Khimki contre Vinci, par Mathilde Goanec (Regards)

Evgenia Chirikova à l’université d’été des
Alternatifs à Nantes en 2011

L’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur de la République de Paris est une ombre, ténue mais tenace, qui plane désormais sur la construction de l’autoroute reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, à travers la forêt de Khimki. 


Engagés depuis six ans contre la destruction de l’un des derniers poumons verts de la capitale russe, certains des militants les plus actifs se sont associés à des ONG européennes (dont Sherpa et France-Russie Liberté) pour porter plainte contre Vinci Concession Russie SA et contre X, pour infractions financières et corruption d’agents publics. 


Le premier groupe français dans le secteur de la construction, acteur majeur dans le monde du BTP, est donc explicitement visé. Il s’agit de déterminer qui porte réellement la responsabilité financière et juridique de ce chantier controversé. Un montage financier opaque Sur le plan environnemental, le projet est décrié depuis longtemps, à tel point que la Banque européenne pour la construction et le développement, ainsi que la Banque européenne d’investissements se sont vite retirés de ce chantier sulfureux, lancé en 2006.


Occupation de la forêt, plaidoyers internationaux, installation de village de tentes et mobilisation sur les réseaux sociaux, les défenseurs de Khimki ont élaboré patiemment leur « printemps russe » [1]. Sans grand succès. 

La mobilisation rejoint donc aujourd’hui un autre axe majeur de l’opposition, la lutte contre la corruption. En la matière, l’architecture financière autour de l’autoroute de Khimki est un cas d’école : les autorités ont conclu, pour ce tout premier « partenariat public-privé » routier signé en Russie, un contrat avec la société North-West Concession Company (NWCC), propriété à 100 % du groupe Vinci concessions Russie SA, de droit français. Cette dernière est détenue à la fois par Vinci Concessions SA et par Vinci Concessions Vosstran Russie SAS, toutes les deux enregistrées à Rueil-Malmaison (le siège du groupe Vinci). Le troisième propriétaire à 50 % est Mostotrest, qui a racheté fin 2012 Plexy Limited, autrefois Sunstone Holding Limited Limasol, société enregistrée à Chypre. Plus haut dans l’arborescence financière, une myriade de sociétés basées au Liban, dans les Bahamas, les Îles vierges britanniques etc… Ce qui permet à Vinci de dire qu’elle ne possède au final que 38,75 % de NWCC. 


« Une structure d’actionnariat via Chypre du partenaire russe est une pratique légale en Russie pour des sociétés ayant des activités internationales, assure le groupe. Nous ne pouvons pas imposer à nos partenaires russes d’autres règles que celles imposées sur leur marché. » 


La législation de certains paradis fiscaux permet de garder le flou sur certains des actionnaires présents dans l’arborescence de NWCC, ce qui a compliqué la tâche des juristes européens chargés de démêler cet écheveau. De la même manière, les sociétés actionnaires ont changé plusieurs fois de nom en peu de temps, brouillant les pistes. 


« Cette opacité peut être une stratégie, avance Sophia Lakhdar, directrice de Sherpa, association plaignante, qui lutte contre les « crimes économiques ». Ce que nous essayons de faire reconnaître, c’est la notion de contrôle de la société-mère vis-à-vis de sa filiale. Ce n’est pas possible que des compagnies puissent encaisser des dividendes pour ensuite invoquer « l’autonomie juridique » dès qu’il y a contentieux.» 


Trafic d’influence ? Les plaignants contestent également la rigueur de ce juteux marché public, empoché sans réelle concurrence par des acteurs proches du pouvoir russe, à l’instar du richissime Arkady Rotenberg, camarade de judo de Poutine, qui contrôle 26 % de Mostotrest. 


« NWCC a été créé par Vinci avec Arkady Rotenberg et N-Trans, société où l’ancien ministre des transports Igor Levitin a travaillé pendant des années », rappelle aussi une autre plaignante, Evgenia Chirikova. Cette entrepreneuse et mère de famille rangée, archétype de la classe moyenne russe, a pris en 2006 conscience de la disparition programmée de son « paradis ». Sans cesse harcelée par les autorités, enragée par la mort de son compagnon de lutte, le journaliste Mikhail Beketov, elle est aujourd’hui le visage du mouvement de défense de Khimki. 


« Avec cette plainte contre Vinci, nous pouvons encore changer la donne. Premièrement, le chantier avance lentement, les sous-traitants font sans cesse faillite et cela va sûrement prendre des années avant que la route ne soit achevée. Deuxièmement, 90% de la forêt de Khimki est encore intacte. Sans la route, le trafic, les supermarchés et les stations essence qui vont avec, la forêt peut être sauvée. Si la route est construite, ce territoire va être divisée et vendu en petit morceaux. »

Mobilisation politique anti-Poutine Dans l’Hexagone, tout en se félicitant du lancement d’une enquête, les ONG craignent que cette plainte ne se heurte au principe de « l’intérêt à agir », d’autant plus que la loi sur les class action à la française se fait attendre.


Pour les défenseurs russes de la forêt de Khimki, la lutte s’est depuis longtemps déplacé sur le terrain politique. Evgenia Chirikova et ses partisans se sont associés aux grandes manifestations contre la fraude électorale l’an dernier à Moscou et Saint-Pétersbourg. Et l’écologie prend désormais toute sa place au sein de l’opposition au Kremlin. 


« Cela fait écho aux grands mouvements environnementaux de la Perestroïka mais aussi à un développement des mobilisations sociales sur des sujets de proximité depuis 2005, souligne Françoise Daucé, maître de conférence à Clermont-Ferrand et spécialiste du monde russe contemporain. Quant à la lutte contre la corruption, c’est aussi le grand thème d’Alexi Navalny [juriste russe poursuivi par la justice, il s’est présenté comme candidat à la mairie de Moscou], qui rencontre lui-aussi un certain succès. » 

« C’est désormais le timing parfait pour les leaders politiques verts, assure de son côté Evgenia Chirikova. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour montrer qu’il se fiche des questions environnementales. Il magouille au cœur des lieux les plus « sacrés », en Arctique, atour du lac Baïkal… Aujourd’hui le plus important pour moi est de soutenir les mouvement militants qui émergent un peu partout en Russie. Je crois que c’est la clé pour changer notre société » 


Notes [1] Myriam Désert, « Comment les « nouveaux citoyens » russes ont inventé leur Printemps », P@ges Europe, 5 mars 2012 – La Documentation française © DILA.

http://www.regards.fr

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