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Un texte de Philippe ZARIFIAN sur « TRAVAIL et SANTE »

Publié le vendredi, 12 octobre 2012 dans Santé, Social, TRAVAIL
 Nous publions ci-dessous un texte de Philippe ZARIFIAN.
Il nous parait intéressant de le mettre en perspective avec celui-ci, de Danièle LINHART (2009), publié voici quelques mois sur ce blog : http://alternatifs81.fr/?p=2703, et celui-ci, de Danièle CASTEJON (publié en 2007) : http://alternatifs81.fr/?p=2990.
Le dossier central du prochain n° de Confluences 81 (n° 99, à paraitre début décembre, traitera du Travail. Ces 3 textes le complèteront utilement.
 
Bonjour,

Voici un ensemble de propositions élaborées en lien avec l’expérimentation d’une nouvelle organisation du travail dans une direction métier de France Télécom, faisant suite à la grave crise sociale que cette entreprise a connu.

1. Le travail et la compétence

– Remettre la question du travail au centre : son contenu réel, ce qu’il produit, les promesses qu’il contient, son amélioration. Débattre et définir ce que l’on peut entendre par  » travail bien fait  » ou  » travail de qualité  » et quelle satisfaction réelle il procure à ceux qui l’accomplissent, soutenant solidement leur engagement.

– Rendre explicite et libérer le pouvoir de penser et d’agir de chaque individualité. Ses effets potentiels et réels sur la santé et la performance. Au centre : la prise d’initiative, sa légitimité, son accompagnement, le sentiment d’aller le plus loin possible dans ce que chacun peut penser et faire et le plaisir que cela procure ;

– Instituer, au sein de l’organisation du travail, des temps de dialogue (au sein des collectifs, avec ou sans le management ), sous le double aspect : contenu professionnel et forme démocratique. Ces dialogues doivent être suivis d’initiatives concrètes communes, coopératives, évaluées comme telles. Retour sur la question de la performance = la performance comme réalisation collective. Rompre l’isolement.

– Question : faut-il parler de  » collectifs  » et/ou de  » milieux sociaux  » ou des deux à la fois ? En avançant, comme je l’ai fait, le concept de  » communauté d’action « , on permet de voir un collectif, à la fois dans la pluralité réelle de ses formes (en équipe, en réseau, en projet) et dans la constitution d’un milieu social solidaire. L’appartenance à un milieu social est une condition essentielle de la  » bonne santé  » et de son maintien. Comment reparler du métier sur la base des exigences d’une société et de fonctionnements sociaux modernes ? Reprendre la question de la modernité, fondatrice de la sociologie = communauté et société, plutôt que communauté ou société. Travailler, c’est  » faire société et faire communauté « . C’est sortir d’une vision corporatiste des métiers. Sortir les salariés des postures défensives et repliées, mieux respirer, et donc mieux se sentir. La vertu de générosité comme source de santé.

– Expliciter la question du travail, comme triplement mise en œuvre de ce pouvoir, réalisation et transformation de soi, et production de valeur. Le travail bien fait, mais aussi producteur d’effets utiles pour des destinataires (la question de la valeur de service, la question de la conscience professionnelle associée au  » sens du service  » = lien entre travail bien fait et travail producteur de valeur). La valeur éthique : ce qui  » fait valeur « , ce qui emporte la conviction des personnes et leur engagement en profondeur, ce qui donne de l’importance à ce que l’on fait, ce qui parle du  » bon  » (et non pas du  » bien « , comme norme morale). Une valeur éthique est toujours à la fois collective et personnelle, car orientée vers autrui et vers soi. Elle fournit un sens profond et durable aux salariés concernés (un travail qui  » fait sens  » )

– Admettre la tension entre valeur économique et valeur éthique, savoir en tirer partie de manière équilibrée pour

1) identifier les points de convergence et d’appui réciproque,

2) négocier des compromis là où il y a des intérêts divergents.

3) Sortir des généralités vides et imposées (du type :  » les valeurs de l’entreprise « , qui sont en réalité celles voulues par sa direction).

– Mettre en œuvre une démarche compétence, en partant des communautés d’action pour aller vers les compétences individuelles, en définissant les compétences comme des savoirs d’action, mobilisés dans les situations productives. Avec l’accompagnement RH nécessaire, mais qui n’est qu’un accompagnement. C’est dans leur relation avec le travail et son organisation que les compétences prennent sens et importance pratiques . Cela suppose, en parallèle, l’abandon, rapide ou progressif, de la logique du poste de travail. La reconnaissance de ses compétences et l’appui donné à leur développement concourent fortement à la  » bonne santé  » de chaque personne.

2. L’organisation du travail

– Les 7 points d’entrée :

o La libération de l’initiative et son cadrage par la prise de responsabilité. L’organisation de la coopération dans le travail vue comme réseau convergent de prises d’initiative collectives et d’entraide. Identification des  » communautés d’action  » pertinentes et de leur rôle dans l’organisation. Identification des cadres (poreux) de responsabilité – ce qu’on peut appeler  » les missions  » – pour les différents groupes de salariés au sein d’une entreprise. Dans une entreprise ou une institution, chaque groupe de salariés doit connaitre son domaine de responsabilité propre et ses  » missions « . C’est une manière de cadrer ses initiatives. Néanmoins, la poussée des organisations productives transversales incite : soit à revoir la définition d’un collectif (non pas un collectif métier, mais un collectif pluri-métiers), soit à rendre les responsabilités poreuses, en admettant que, pour des problèmes concerts précis, elles empiètent les unes sur les autres et qu’il soit nécessaire de se concerter.

o L’institutionnalisation d’espaces de dialogue, à la fois lieux de recomposition explicite de milieux sociaux professionnels, donc de socialisation, lieux tournés vers l’action collective, vers l’amélioration de la qualité du travail et de la performance, et lieux de débats / arbitrages avec les managers. Réunions d’équipes reprenant la philosophie des conseils d’atelier.

o La mise en œuvre d’une politique de développement, d’usage, de valorisation des compétences de chaque individualité en lien explicite avec les communautés d’action.

o La mise en place de  » soutiens experts, accompagnateurs, formateurs » = tenir compte de la complexité souvent croissante du travail, de la difficulté d’arbitrages entre demandes différentes, des limites des compétences dans une période déterminée (tenir compte donc de la montée en charge d’une politique compétence, dont les pleins effets demande du temps, le temps de la montée en compétences des agents), pour que des experts du métier accompagnent, conseillent, soutiennent les progrès des salariés moins compétents, voire organisent des formations internes  » ad hoc « . Cela ne met pas en cause la politique de formation continue, mais la resitue dans un processus plus large d’apprentissage professionnel.

o L’institutionnalisation de la question de l’anticipation et la prospective (dont la prospective métier) = redonner un espace temporel de moyen/long terme connu de tous et construit de manière partagée (exemple : définir le devenir de chaque métier). Qui dit  » prospective « , et non pas  » prévision « , dit construction de scénarii, ouverture d’options, appel à l’imagination.

o Recentrage du rôle du management vers l’appui à la politique compétences, le changement de l’organisation du travail, la définition d’objectifs de performance  » légitimes « , c’est-à-dire valorisés par les travailleurs, tout en étant cohérents avec la stratégie de l’entreprise = que ces objectifs soient débattus. Projets d’équipe ? Et Projets unissant différents métiers dans une organisation transversale orientée  » parcours clients  » ? Création de lieux de dialogue entre managers pour débattre de leur propre activité et son amélioration (par exemple : réunion périodique des chefs d’équipe d’un même département). Faire en sorte qu’ils sortent de leur isolement et puissent s’exprimer librement. Et qu’ils prennent conscience qu’ils forment, eux-aussi, un collectif, dont le rôle, en entreprise, est particulièrement important. Au lieu de multiplier les discours et les référentiels externes et creux sur le management, faire en sorte que les managers, en particulier ceux de premier niveau, créent leur propre discours, réfléchissent ensemble à leur rôle dans l’organisation, pensent leurs compétences et leurs relations avec ceux qu’ils encadrent.

o Construction de parcours professionnels explicites, sous le double registre :

1) de l’accompagnement de changements d’organisation et de re-répartition de l’effectif,

2) des souhaits d’évolution de chaque salarié. En prenant en compte ce double registre, on impose la nécessité d’un dialogue, que ce soit au cours d’un entretien professionnel spécifique, ou à l’intérieur d’un dispositif officiel d’accompagnement de la mobilité. La réussite de ce dialogue n’est pas garantie, mais du moins aura-t-on laissé les chances d’une solution concertée au sein de parcours publiquement énoncés, remplaçant à la fois les  » carrières  » désuètes et les  » trajectoires  » purement personnelles.

Philippe ZARIFIAN

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