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L’autogestion : est-ce bien raisonnable ? Jean-Jacques Boislaroussie (porte parole national des Alternatifs)

Publié le dimanche, 23 septembre 2012 dans Autogestion, Gauche de combat, Kézako Les Alternatifs, Notre Projet

En attendant les premiers compte-rendus, écrits, audio et videos de la journée du 22 septembre à GRAULHET, nous publions ce texte

Utopie, éthique, fil conducteur pour l’action, la démarche autogestionnaire est au coeur des aspiration à l’émancipation. Si elle n’a pu (encore) se réaliser dans la durée, elle a donné sens à bien des engagements et des combats. Opposant aux oppressions, dominations, et au chacun pour soi, l’autonomie et la coopération, elle est l’espoir d’une alternative à la pensée unique néo-libérale comme aux dérives autoritaire.

Cet espoir vient de loin : des socialismes utopiques au syndicalisme révolutionnaire, et le chemin fut long, jalonné par des révoltes, projets, et actions multiformes. Une longue histoire. Le syndicalisme révolutionnaire avait pour perspective une grève générale expropriatrice qui aboutirait à la réorganisation de toute la société par les travailleurs. Les organisations libertaires ont maintenu face au stalinisme et à la social-démocratie, contre vents et marées, l’espoir d’un avenir sans capitalisme ni bureaucratie. Des courants marxistes ayant combattu le stalinisme et ses dictatures bureaucratiques ont, pour certains, opposé aux partis-Etats issus de la tradition bolchèvique l’alternative autogestionnaire. Puis, dans les années soixante et soixante dix, de nouveaux militantEs ont retrouvé l’aspiration à l’autoorganisation et à l’autogestion, et ont, entre autres, contribué à la lutte des Lip.

Militant des Alternatifs, c’est à cette dernière tradition que je me réfère, sans ignorer les apports de toutes les autres. Depuis, de nouvelles générations ont retrouvé le vieux chemin autogestionnaire, dans la conduite de leurs luttes et comme perspective

De l’Ukraine à la Catalogne, les aspirations anticapitalistes et antiautoritaires ont été maintes fois défaites, mais elles n’ont pas disparu. Aujourd’hui, en Amérique latine, une continuité est parfois recherchée entre des formes de solidarité communautaires précapitalistes (qui il est vrais s’accompagnaient d’un contrôle social pesant) et une aspiration égalitaire et écologiste au « bien vivre ». Et partout des luttes sociales ou écologiques réactivent l’aspiration à décider ensemble, à refuser les logiques délégataires.

Dans bien des domaines, sociaux et de fait politiques, même si ils ne s’inscrivent pas dans le champ classique de la politique, l’aspiration autogestionnaire chemine. Dans les réseaux et collectifs qui agissent pour une alterconsommation, dans le secteur culturel, lorsque les salariéEs assurent la direction de leur entreprise sous forme coopérative, lorsque les Fralib portent un projet liant gestion directe par les salariéEs, production de qualité en lien avec les consommateurs et les collectivités territoriales proches, rapports éthiques avec les producteurs ici et dans le pays du Sud. Ces expérimentations, ces formes de lutte autogestionnaires, ne mettent pas globalement à bas le système, restent fragiles, mais elles ouvrent des brèches et prouvent que « c’est possible ».

Un projet radicalement alternatif.


La fin des séparations artificielles qui font de l’individu un travailleur ou un consommateur unidimensionnel. Le refus de la parcellisation qui prive de sens l’activité humaine. Et cette démarche renvoie au projet politique : comprendre la complexité du système de dominations pour l’affronter sur tous les terrains, et travailler à une alternative globale, loin de paradigmes ‘rouge’ ou ‘vert’ réducteurs.

A sa manière, le mouvement altermondialiste est également en recherche d’une cohérence d’ensemble à opposer à l’ordre capitaliste et productiviste. Le lien entre l’expérimentation et le projet global, entre le chemin et le but. C’est revendiquer l’expérimentation, les contre pouvoirs et contre projets partiels, savoir leur fragilité, mais comprendre qu’un exemple vaut mieux que cent discours. Savoir aussi que l’expérimentation prend sens quand le cap de la transformation globale de la société reste tenu.

Ici se noue une contradiction : le risque de la simple juxtaposition de pratiques alternatives fragiles et de petits mouvements politiques tentant vaille que vaille, et dans leur diversité, de porter une vision autogestionnaire stratégique. Surmonter le vieux clivage théorie/pratique, dépasser les cloisonnements, est un défi considérable. La récente Foire à l’Autogestion (à l’appel de nombreux collectifs et réseaux porteurs d’initiatives à caractère autogestionnaire et d’organisations libertaires, alternatives et se réclamant de la décroissance) a donné à voir le foisonnement d’un espace autogestionnaire dans les domaines de la consommation, de la production, de la culture, de l’éducation, et, en même temps, la difficulté à construire plus de commun entre champ politique et champs sociaux.

La remise en cause de toutes les facettes de la domination.

Refuser la domination politique, en dépassant les logiques de délégation, par la délibération collective, la démocratie active. Combattre la domination culturelle, par le partage des savoirs, la controverse, la mise de l’expertise scientifique ou militante au service du débat et de la décision collective. Démasquer et combattre les nouvelles formes de dominations appuyées sur la « compétence ». Refuser les hiérarchies et partages des rôles entre vieux et jeunes, femmes et hommes, « exécutantEs » et « compétentEs », et ce, que ces partages, racines des dominations, soient l’héritage d’archaïsmes religieux ou la projection du chacun pour soi capitaliste. Refuser les pièges de la société du spectacle social et politique, qui, au mieux, ne met en valeur les figures de la contestation que pour masquer la radicalité collective.

Une vision radicalement émancipatrice de l’action collective.

Dans les mobilisations où le « tous ensemble », pour décider et agir, est un formidable levier. En politique, pour en finir avec les hiérarchies entre le parti-guide (qu’il soit électoraliste ou « révolutionnaire ») et toutes les autres formes d’organisation collective, syndicales, associatives.

Les Alternatifs portent le projet d’un mouvement politique assumant un certain nombre de dimensions nécessaires à l’émancipation : mémoire des luttes, mise en commun d’expériences et de forces, contribution à un projet autogestionnaire et écologiste. Un « parti mouvement », perméable à toutes les formes de mobilisation et recherchant les convergences sociales et politiques les plus larges pour transformer la société. Mais la question de l’utilité d’un mouvement politique « séparé » traverse toujours les secteurs se réclamant de l’autogestion.

Une éthique de l’action.

La plus difficile puisqu’elle s’oppose frontalement à tout ce qui conduit dès l’enfance, dans la famille comme dans le système éducatif, l’individu à la quête du pouvoir, à la compétition, souvent aussi à la servitude volontaire. Cette éthique doit conduire à une vigilance constructive, à un regard critique sur les outils collectifs d’émancipation : en leur sein aussi se déroule le combat contre le vieux monde, contre la confiscation du pouvoir et du savoir, et la résignation à la logique délégataire.

Ici et maintenant.

La place majeure tenue pas l’Etat dans la structuration de la société française joue un rôle ambivalent : elle contribue sans aucun doute à la résistance du corps social à l’idéologie néo-libérale, contribue à des formes de solidarité. Mais elle marque profondément la « gauche de gauche » et tend aussi à marginaliser les aspirations autogestionnaires. Les détenteurs du pouvoir politique et la technocratie s’épaulent dans bien des domaines, par exemple dans une vénération commune du nucléaire.

De même, une démarche alternative peut conduire des collectivités territoriales ou collectifs de citoyenNEs a produire localement de l’énergie, mais elle se heurte à une vision classique et verticale du service public qui, elle, privilégie un opérateur unique à l’échelle de l’Hexagone comme élément de résistance à la marchandisation. A contrario, autour d’objectifs comme la relocalisation des activités ou la durabilité des produits, se noue la convergence entre démarche autogestionnaire et écologie radicale.

But, moyen et chemin.

Le but est celui d’une société d’émancipation, traversée de contradictions mais ou l’autonomie des individus se combinera avec leur coopération. Un avenir où l’être primera sur l’avoir. Le moyen c’est l’action collective, l’appropriation des savoirs, le libre débat, la démocratie active, et la construction de solidarités et d’outils militants qui préfigurent une société autogérée.

Les chemins sont divers : celui des grandes mobilisations de masse, ces indignations qui parfois font tomber les dictatures, celui de l’action quotidienne, des alternatives concrètes, de ces mobilisations, qui sont des temps collectifs comme des temps d »émancipation et d’apprentissage individuel.

Ces luttes ne gagnent pas toujours, mais, souvent, donnent sens à la vie de celles et ceux qui y participent.

L’autogestion est but, moyen et chemin.

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