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2ème « devoir » de vacances : Relocaliser l’économie, et faire revivre la gauche. . .

Publié le vendredi, 22 juillet 2011 dans Autogestion, Ecologie, Gauche de combat, Notre Projet

02-02-2011-8--295x300Au moment où, à l’occasion du débat public autour du Projet de Liaison Autoroutière CASTRES – TOULOUSE, nous préparions collectivement notre Cahier d’Acteurs : « Suffit-il de désenclaver le Sud du Tarn ? Non, il faut re-localiser l’économie ! « (http://alternatifs81.fr/?p=1003), certains parmi nous avaient demandé à notre camarade Pierre NOEL (des Alternatifs 65), de rédiger quelques lignes à partir d’une courte intervention faite lors d’un moment de travail de l’AMP (Alternative en Midi Pyrénées).

Il a rédigé le texte ci-après. Il nous semble intéressant de le redécouvrir, quelques mois plus tard, au moment où les thèmes abordés s’invitent de plus en plus dans le débat politique. . .

Relocaliser l’économie, et faire revivre la gauche.

La mondialisation, telle qu’elle est conduite depuis le début des années quatre vingt, est le fruit d’une mise en concurrence orchestrée par les puissances capitalistes du centre1. Elle porte sur les systèmes fiscaux, sociaux, écologiques et démocratiques, souvent fruits d’historiques luttes des classes qui, par delà leur traduction en droit législatif et réglementaire, marquaient surtout une intention commune, c’est à dire partagée par une majorité culturelle, celle qui se donnait pour dessein d’ouvrir une ère nouvelle de justice sociale et d’émancipation.

La régression de ces systèmes, partout où ils étaient le plus en avance, ne marque pas pour autant un renoncement à ce mouvement, à cette tension collective, qui se fixe pour objectif de faire évoluer les sociétés vers un projet de transformation. Dès lors que les forces de gauche auront retrouvé les modalités d’une unité durable, sincère et « décomplexée », elles auront à intégrer dans leur projet politique renouvelé, deux orientations qui mettront un terme à cette régression: le protectionnisme et la hiérarchie des normes.

Ainsi énoncé, on pourrait croire à un égarement, voire une supercherie, tant ces pistes semblent tout droit sorties d’une pensée réactionnaire. Mais on aurait tort de se laisser aveugler par l’apparence des mots et la surface des intentions qu’ils recouvrent. Il faut entendre ici, dans « protectionnisme », un système d’économie politique, intégré à une pensée altruiste d’ensemble2, qui place la hiérarchie des normes au niveau le plus élevé qui soit, celui du transnational, le seul qui puisse s’appliquer à toutes les Nations de manière égale. Ici, l’articulation entre ces deux principes, contrairement à ce que l’idée de protectionnisme véhicule habituellement, place l’action en direction des institutions internationales.

Elle la situe en effet dans un projet de refonte des statuts des plus puissantes d’entre elles3, celles qui font la gloire du consensus de Washington, en particulier la « sainte trinité » résultant de l’alliance libérale entre la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC, de sorte que puisse advenir le règne de l’autorité supérieure des législations supranationales en matière sociale, de droits et devoirs humains, et d’écologie. Cette idée de hiérarchie des normes n’a rien d’utopique. Par exemple en matière sanitaire et vétérinaire, elle est acquise depuis les lois maritimes du XVIème siècle sur la quarantaine. Dans le même registre, on peut citer aussi celles qui s’appliquent aux espaces maritimes et aériens internationaux, ou encore à ceux de la diplomatie, et plus proche de nous encore, citons aussi la construction européenne avec ses différents traités, directives et règlements qui jalonnent l’histoire européenne depuis ses origines4.

Toutefois, pour préparer la venue de cette transformation de grande ampleur, il est possible d’agir dès à présent au niveau local, y compris avec l’aide des institutions sociales démocrates existantes5, si les conditions s’y prêtent. Ainsi, différentes pistes sont à la disposition de ceux qui veulent bien les emprunter. La première prend appui sur des objectifs de relocalisation de l’économie. Cette dernière répond en tout point à la logique de protectionnisme altruiste, conçu comme outil de retrait à la concurrence de certains pans de l’activité économique, étendu à une zone géographique donnée6, ou qui organise la concurrence en vue de lutter contre les inégalités et les désordres qu’elle engendre ou engendrerait si elle n’était politiquement encadrée, sans pour autant se désintéresser du sort des autres populations, pour se refermer sur elle même et ne considérer que ses seuls intérêts7. Il en ressort que, contrairement au processus de globalisation économique, le protectionnisme altruiste n’est un outil ni au service d’une expansion sans limite, ni de la mise en dépendance d’autrui, ni inversement, au service d’intégrations locales exclusives des affaires communes et des responsabilités partagées en matière d’écologie, de solidarité entre les peuples, d’entraide, de justice, de droits et devoirs communs, …

Le tout premier pas en direction de cette relocalisation est déjà en action puisque c’est celui qui touche à l’activité agricole. Parce qu’elle remplit à elle seule la condition première permettant d’atteindre des objectifs de souveraineté alimentaire, relocaliser l’agriculture devient un enjeu fondamental. Par ailleurs, avec 1 milliard d’affamés sur terre, résultat d’une mondialisation où l’activité agricole devient otage de la finance et des intérêts des multinationales de l’agrobusiness, cet objectif de souveraineté est prioritaire à tout autre. Il va par conséquent marquer la première étape d’élaboration d’un circuit court de distribution.

Par ce simple choix poussé à l’extrême, c’est tout un pan de l’activité économique capitaliste productiviste qui est voué à l’anéantissement. Sa mise en œuvre, dégagée des objectifs de productivité et de mise en concurrence tels qu’élaborés par les critères de l’économisme libéral, conduira, une fois atteint une certaine masse critique, au réveil des modes de production ancestraux, non agressifs pour la nature, économes en énergie et en intrants:

   – généralisation de l’agriculture biologique puisque tout sera produit sur place en lien avec les capacités naturelles productives des territoires,

   – recours à la traction animale pour faire revivre les races animales locales et limiter les pollutions résultant du machinisme agricole devenu de toute manière superflu compte tenu de la limitation de la taille des exploitations dans ce modèle relocalisé,

   – amendement naturel des sols,

   –développement d’une horticulture et d’un élevage de proximité,

   – prise en compte du cycle de vie complet des productions pour supprimer les externalisations dues à la non prise en compte de l’origine et du type de matières premières utilisées, des modes de production et de distribution, et des déchets générés par leur utilisation.

À cette échelle, la sortie du capitalisme serait déjà bien engagée, et des coopératives de production pourraient dès lors se voir confier la mission de fournir en aliments, les institutions collectives (hôpitaux, écoles, jardins d’enfants, …) et dont le reliquat de production pourrait être vendu librement, sur les marchés locaux paysans. Cette agriculture de proximité s’appuierait sur une répartition des terrains, repris sur des aménagements devenus inutiles tels les parkings, les aires actuellement occupées par la grande distribution, les zones d’activité, les autoroutes, … , et par l’incitation à cultiver partout où il serait possible de le faire: sur les terrasses des immeubles (dans des pots, des containers ou des pneus comme cela s’est pratiqué à Cuba après la fin de l’URSS et donc de l’aide qu’elle apportait à l’île), dans les cours des lieux d’habitation ou des bâtiments publics. Des coopératives horticoles urbaines pourraient voir le jour, ainsi qu’un réseau de commerce de graines et d’outillage par lequel des habitants, spécialement formés, donneraient des conseils aux utilisateurs. Des Instituts de recherche pourraient être mis sur pied, pour travailler sur le vermicompostage, les bio formulations, la protection ou la remise en état biologique des sols, le développement de la culture de plantes médicinales, l’attention sanitaire à porter aux élevages et aux aliments, la prévention et le traitement des maladies selon des modèles de non agression envers la nature.

Les résultats d’une telle politique conduiraient à réduire la contamination des sols, de l’air et de l’eau par les pesticides et les engrais chimiques. Ils pousseraient aussi à reconsidérer l’usage des produits phytosanitaires et des modes d’élevage devenus moins concentrationnaires et respectueux de la vie animale, à diversifier les productions et l’alimentation, à recycler les déchets, à réduire au minimum les coûts de transport, à augmenter les niveaux de sécurité alimentaire et sanitaire de manière plus naturelle, à abaisser les pollutions dans l’objectif de les faire disparaître à terme, à développer l’emploi …

En tant que pièce maîtresse de la mondialisation, la question des transports se pose de manière inéluctablement connexe. Elle utilise, en effet, ce secteur d’activité comme vecteur d’une mise en concurrence possible de vastes pans de l’économie, y facilitant la rentabilité des capitaux investis: production agricole, gestion des stocks, filières énergétiques, construction et travaux publics, électronique et organisation de l’information, surveillance et télédétection, grande distribution, tourisme de masse, …, chacun d’eux directement ou indirectement consommateur de grandes quantités d’énergie, générateur de multiples pollutions et dégradations, tant en amont qu’en aval de leur filière respective. Outre le transport de marchandises, local ou international, dont les méfaits sont bien connus parce qu’ils ont fait l’objet de nombreuses études émanant tout autant des institutions officielles que de la société civile, les déplacements des consommateurs engendrent un impact environnemental marquant.

A titre indicatif, l’enquête nationale belge sur la mobilité des ménages de 20019, évalue à 2500 le nombre de kilomètres annuels parcourus en voiture par un consommateur, pour aller faire ses courses. De surcroît, l’efficacité de ce mode de locomotion est faible au regard des petites quantités d’éléments transportés et de la fréquence des déplacements. Comme il ne s’agit pas d’une caractéristique intrinsèque au produit vendu, cet élément n’est jamais pris en compte dans les calculs sur son cycle de vie. Par delà les choix du consommateur, c’est ici celui du magasin et du mode de transport pour s’y rendre qui est crucial.

Ainsi, tout projet de relocalisation de l’économie digne de ce nom, doit mener à terme, à une mise à plat complète de l’un des supports de l’échange le plus développé qui soit, le secteur du transport.

Il ne s’agit donc pas ici de traiter des avantages comparatifs de tel ou tel mode de transport, le maritime, le routier, le ferroviaire, l’aérien, ni non plus de ceux du transport collectif vis à vis du transport individuel. Puisque chacun d’eux marque l’aboutissement d’un niveau de développement du capitalisme, et puisque la finance en constitue le cœur, osons nous attaquer à ses réseaux sanguins en démantelant de proche en proche les veines qui l’alimentent.

L’objectif est clairement d’aboutir à son asphyxie.

Dans ce même mouvement, dépassant la seule question du transport, l’idée est bien que le peuple retrouve son autonomie, sa « souveraineté », sur les besoins essentiels de l’existence. La nourriture, bien sûr, mais également l’habitat, les vêtements, l’énergie, la monnaie, …, les chantiers à reconquérir localement sont nombreux, et il y a urgence. Ce protectionnisme altruiste, entend par conséquent revenir à des marchés locaux protégés, pour répondre aux besoins des populations concernées, actives sur ces marchés. La protection opérée dans ce cadre local, correspond à un choix délibéré, qui procède d’une démarche citoyenne, d’habitants voulant préserver tout à la fois leur autonomie, leur pouvoir de décision politique et la nature, sans renoncer à la solidarité. Dans ce cadre, la relocalisation n’est pas du tout une logique de repli identitaire ou communautaire. Ici, relocalisation ne signifie pas autarcie, mais reprise d’un pouvoir de penser, d’organiser et d’agir directement sur le fonctionnement de la société, sans intermédiaire, avec pour visée de limiter le plus possible les agressions sur la nature, située dans un rapport de continuité10 et de respect. C’est intrinsèquement un choix autogestionnaire.

Dernier point pour faire vivre une économie de proximité qui redonne un pouvoir direct d’action politique aux habitants, sans attendre une décision venue « d’en haut »11, celui de la création monétaire locale.

Cette monnaie, qui est une unité de compte et d’échange, n’est pas et ne doit surtout pas devenir une unité de valeur; elle ne peut ni ne doit se thésauriser. C’est justement ce pourquoi elle va redonner sens à la valeur d’usage, à travers l’acte de produire et de consommer.

Karl MARX a parfaitement étudié cette caractéristique du capitalisme, qui tire profit par la spéculation, de la séparation entre valeur d’échange et valeur d’usage. La création monétaire locale devient alors une alternative à l’appropriation collective centralisée des moyens de production, telle qu’elle s’est exprimée dans les pays du socialisme réel au XXème siècle. Au sein des monnaies plurielles avec lesquelles elle peut cohabiter, cette monnaie locale va revêtir une position bien particulière. La plupart d’entre elles façonnent des monnaies de réseau, systèmes d’échange spécifiques qui étendent leurs ramifications à l’intérieur de réseaux bien identifiés, celui de l’économie solidaire par exemple, ou même celui qui peut exister au sein d’une centrale d’achat ou d’une coopérative de distribution dès lors qu’elles émettent des cartes de fidélité. La monnaie locale dont il est question ici est une monnaie territoriale, liée à un pouvoir local démocratique. En comparaison des monnaies nationales ou de réseau, cette spécificité en simplifie la gestion courante. Pour une monnaie nationale par exemple, il est essentiel que son cours soit reconnu pour que la liquidation d’une importation, d’un bien ou d’un service, se finalise correctement; à l’inverse les exportations nécessitent une gestion des devises étrangères, en particulier un suivi des taux de change. Pour une monnaie en réseau, il faut s’assurer de la stabilité de l’émetteur et du réseau lui même. Que l’un ou l’autre soit défaillant, et la monnaie est en crise, si bien que sa détention ne permet plus l’échange. Comme elle ne s’échange pas, ne se thésaurise pas et qu’elle est gérée par une population circonscrite, une monnaie locale est plus à l’abri de ces perturbations. Elle procure aussi de nombreux avantages au niveau de l’efficacité et de la régulation, du fait précisément de sa territorialité bornée12, réinstituant au niveau local le pouvoir politique perdu au niveau national sur l’économie, pouvoir de création monétaire mais aussi de répartition et d’imposition.

Non seulement c’est au niveau local qu’une monnaie parallèle est le plus efficace, mais sans être incompatible avec la monnaie officielle, elle est l’outil privilégié de la relocalisation de l’économie: puisque sa validité se limite à un territoire, il faut donc la dépenser localement. L’expérience des SEL (Systèmes d’Échanges Locaux) a montré, bien qu’à une échelle très réduite, une réelle efficacité de ces monnaies même si leur usage a révélé certaines limites13.

 Beaucoup d’autres expériences de par le monde ont montré l’utilité des monnaies locales, notamment lors de crises monétaires comme en Argentine par exemple. Parfois de simples bourses d’échange de temps, permettent de dynamiser les échanges locaux en recourant à des formes primitives de monnaie qui s’apparente au troc. Celles ci, bien que difficilement généralisables, gardent néanmoins toute leur utilité, et ne doivent pas être boudées.

Pour ce qui touche plus précisément aux monnaies locales, au sens qui leur est donné ici, on peut imaginer la création de monnaies régionales, départementales ou municipales, utilisables chez les commerçants, artisans, agriculteurs locaux. Pour tenir compte de la situation propre de chaque bénéficiaire, et donc satisfaire au souhait de justice sociale pour tous, rien n’empêche de procéder à une distribution différenciée des montants affectés aux populations. En complément, on peut aussi recourir à des monnaies affectées, c’est à dire qui ne peuvent être dépensées que sur certains créneaux économiques pré fléchés, dont le modèle des Tickets Restaurants est une illustration.

L’amorçage du dispositif constitue l’un des points les plus délicats. Si on sait en effet, que l’acceptation par les différents utilisateurs d’une monnaie, quels qu’ils soient, est fonction de la confiance qu’elle suscite, il faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas l’apanage d’une catégorie sociale particulière, même si dans un premier temps, il est sûr qu’elle intéressera d’abord ceux qui ne trouvent pas à employer leurs compétences sur le marché concurrentiel. Sa mise en place devra par conséquent passer par la nécessaire conviction de professionnels intervenant sur le périmètre concerné par cette monnaie, pour qu’ils acceptent, au début tout du moins, que s’effectue une part de leurs échanges en monnaie locale. C’est ce qui amorcera le fonctionnement de départ et assurera une certaine pérennité au dispositif.

Ceci étant, s’en tenir à cet aspect purement technique lié à la mise en place d’une monnaie locale, pour particulièrement enrichissant qu’il soit15, laisse de côté un autre aspect de la lutte des classes, celui attaché à la répartition des richesses et donc à l’impôt. Au moment où nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre le dispositif inégalitaire de calcul des impôts locaux, un vrai combat politique, citoyen et républicain reste à mener à ce stade de développement des monnaies locales. Dès lors que cette monnaie est totalement insérée dans l’économie locale, avec pourquoi pas sa propre banque, gérée par les utilisateurs eux même, avec, si les habitants en trouvent utilité, un système de prêts sans intérêt16, pourquoi dans ces conditions ne pas en profiter pour l’utiliser comme support à la répartition des richesses et financement d’une part au moins des services publics territoriaux ? Autrement dit, pourquoi ne pas établir un système d’impôts spécifique, en complément du dispositif fiscal local existant, lequel pourrait voir ses taux réaménagés en conséquence, qui tiendrait compte d’un certain niveau de revenus en monnaie locale, et modulé selon lui par tranches de revenus.

Précisons bien que cet impôt n’a pas vocation à se substituer à l’impôt national sur le revenu, mais à compléter, et pourquoi pas, à terme, à remplacer l’impôt local actuel. Il n’est donc absolument pas question de remettre en cause l’égalité républicaine en la matière, mais bien de mener un combat politique de reconquête de la justice fiscale locale, de placer un premier jalon contre la logique d’accumulation capitaliste. Ce combat, qui à n’en pas douter est bien un combat de classe, est l’essence même du combat politique, tant sous son aspect revendicatif que technique. Il est à mener dans les deux sens de la prise du pouvoir: localement et nationalement17. Ce combat se mènera dans un premier temps au niveau de l’administration fiscale, puis très rapidement à l’échelon Préfectoral, puis porté à l’échelon administratif le plus élevé, celui du Conseil d’État, parce que s’agissant de fiscalité et de justice sociale, et plus prosaïquement de moyens monétaires, le capital s’opposera à une telle réforme par tous les moyens, à commencer par les moyens juridiques à son service, sachant que dans le dispositif tel qu’il est décrit ici, c’est de sa survie dont il est question.

Voici tracé les grandes lignes opérationnelles d’une alternative locale à la globalisation marchande, et d’une reconquête idéologique par la gauche écologiste. Cette relocalisation de l’économie, passe par plusieurs étapes et suit son chemin à travers différents créneaux comme on vient de le voir: agriculture, transport, monnaie locale. Ce triptyque, poussé à son terme le plus abouti, forge une arme redoutable pour qui veut placer le capitalisme hors d’état de nuire. Qu’il s’agisse des étapes intermédiaires ou de la phase terminale, au bout du compte, l’objectif démocratique reste inchangé. Il s’agit pour le citoyen d’exercer par lui même le pouvoir qui lui a été dérobé, économique on l’a vu, mais aussi politique, et ce faisant de se rapproprier la vie, sa vie, transformant l’acte de produire et de consommer pour donner sens à son existence d’humain.

 À travers le choix d’une relocalisation de l’économie, pensé dans un cadre plus large de protectionnisme altruiste tel qu’il a été présenté, le modèle consumériste actuel, qui délimite l’échange sur le mode vulgaire de l’égo consommation solitaire18, est progressivement inhibé et devient un outil par lequel va s’exercer la démocratie, la justice sociale, le respect de la nature et d’autrui.

Ce combat est éminemment politique et de portée universelle, parce qu’il peut être mené ici, là bas, n’importe où, en tout lieu où des humains, femmes et hommes égalitairement, sont prêts à s’engager pour reconquérir leur dignité. Il est aussi intemporel en ce sens où il peut débuter à tout instant, dans la minute qui vient ou un peu plus tard, ou bien plus tard encore, le temps que les conditions de sa mise en œuvre soient réunies. Enfin, c’est un combat politique qui souscrit à l’idéal de non violence, et qui peut puiser ses forces tout à la fois hors du jeu politique institué ou en son sein, sans exclusive de l’une sur l’autre méthode, les deux pouvant se mener de front. Précisément, ce réveil politique démontre dans l’action, l’intérêt qu’il y a d’agir simultanément et dans la complémentarité, tant sur le front des luttes sociales que sur celui de la conquête du pouvoir institutionnel. Ce dernier point suppose, bien évidemment, que voit le jour une volonté politique organisée, qui se fixe clairement comme objectif de conquérir les exécutifs, non pas tant pour l’obtention de sièges électifs, non pas tant non plus pour faire acte de témoignage, ni non plus pour atteindre une position de domination au sein de l’échiquier politique, mais, à partir d’une base programmatique de gauche, c’est à dire tout à la fois sociale, écologique et progressiste19, d’insuffler une dynamique rassembleuse d’éducation populaire par la pratique, qui donne envie à la population de s’engager plus en avant, dans un mouvement d’ensemble de transformation et de réappropriation du pouvoir et de l’action politique, pour plus de Liberté, plus d’Égalité, plus de Fraternité.

Pierre NOËL, Alternative en Midi-Pyrénées

1dans un mouvement de domination par lequel celui ci impose ses valeurs et son modèle de fonctionnement comme référence incontournable, à une périphérie rendue docile et acquise à ses intérêts.

2autrement dit inverse au protectionnisme mercantiliste, tel qu’il fut conceptualisé par Jean-Baptiste COLBERT, puis pratiqué en Europe à partir du XVIIème siècle, ou au Japon à travers tout le XXème siècle, ou par la France des « 30 Glorieuses », protectionnisme qu’on rencontre aussi sous le vocable d’économie autocentrée

3voire de leur démantèlement pur et simple dans la mesure où elles jouent le rôle de courroies de transmission de l’impérialisme occidental, qu’elles confortent de surcroît

4précisons tout de suite, pour éviter tout malentendu, qu’il ne s’agit pas de faire du droit international l’alpha et l’oméga de toute législation; son étendu ne doit concerner que les lignes directrices relatives aux relations entre États, Nations, peuples, et protection du patrimoine commun à l’humanité; en ce sens, le principe de subsidiarité, tel qu’on le conçoit au sein de l’Union Européenne, peut servir de référence et s’appliquer dans toutes ses dimensions, ce qui ne veut pas dire non plus qu’actuellement, son application est satisfaisante au sein de l’Union

5pour peu que leur exécutif soit issu d’une confrontation élective, dont l’aboutissement aura été favorable aux idées de progrès social écologique, sur la base d’une programmatique bâtie sur un projet de gauche rassembleur; ce combat par les urnes, s’il n’est pas une finalité en soi, n’est pas non plus à négliger; en tant que facteur d’une possible transformation à plus grande échelle, il permet d’en jalonner le parcours

6qui peut englober le territoire d’un ou plusieurs États, Nations ou peuples, ou une partie plus ou moins étendue de ceux ci

7analysé avec un certain recul et sous un certain angle, on peut d’ailleurs considérer le protectionnisme classique, ni plus ni moins comme une concurrence en creux ou à rebours, qui traduit l’aveuglement, ou le refus des principes de solidarité internationale de ceux qui, s’en réclamant, prennent prétexte d’une négation pure et simple d’autrui, pour revêtir finalement une posture belliqueuse envers tout ce qui leur est étranger

8dont les AMAP forment l’un des modèles les plus aboutis, dans le contexte économique actuel

9de Jean-Paul HUBERT et Philippe TOINT, publiée sous le titre « La mobilité quotidienne des belges », Presses universitaires de Namur, ISBN 978-2-87037-388-0 (existe aussi en bibliothèque)

10ce rapport établissant l’absence de vide, de rupture, entre l’humanité et la nature; il n’y a pas d’un côté une nature externe à l’humain, une sorte de capital naturel dans lequel il s’agirait de puiser pour produire des richesses monétaires, par le processus général de valorisation du capital, et de l’autre une humanité distante et détachée de cette nature; l’humain est un être de nature, elle est en lui, elle est lui, même si elle n’est pas tout lui, certes; néanmoins elle constitue le substrat de la culture, qui en est la continuité « naturelle », exactement comme le vivant est la continuité naturelle de l’inerte; ce point est fondamental, dans le sens où il ouvre une nouvelle conception philosophique et par conséquent politique de l’organisation du monde; la révolution copernicienne a totalement transformé la société de son époque, évoluant du modèle géocentrique de Ptolémée, au modèle héliocentrique de Copernic; comparativement le modèle de continuité induit un déplacement profond dans le positionnement de l’humanité vis à vis du reste de l’univers; dans ce modèle, elle n’est plus placée au sommet d’une pyramide érigeant une hiérarchie, autrement dit un rapport de distance, une discontinuité au sens quantique du terme, entre toutes les composantes de la nature; de cette continuité naît alors le respect, le respect de soi et des semblables à soi

11autrement dit faisant suite à une prise de pouvoir politique de niveau centrale, de type présidentielle ou législative, soit par les urnes, soit par la révolution

12les acteurs sont tous locaux, la quantité de monnaie est moindre qu’au niveau d’un vaste territoire, et les acteurs à qui le pouvoir monétaire est restitué vont s’impliquer directement et en temps réel dans sa gestion

13celles ci n’ont en fait pas de rapport direct avec l’unité de compte proprement dit, mais relèvent plutôt de l’animation participative que nécessite sa mise en œuvre; elles résultent aussi d’un retour à certains travers consuméristes, auxquels l’expérience montre qu’il est difficile d’échapper sur le long terme, car il faut toujours garder à l’esprit que ces expériences alternatives se vivent à l’intérieur d’un modèle capitaliste hyperdominant, par conséquent toujours en confrontation avec lui, sur un mode de résistance, or la résistance fait mauvais ménage avec la durée, parce qu’il est particulièrement éprouvant de résister sur de longues périodes; pour une étude plus complète on peut se référer à L’économie sociale en perspective, de G. Rasselet, M. Delaplace et E. Bosserelle, Ed. Grasset, 2005.

14parce qu’il faut toujours être à même d’établir une équivalence entre les biens ou les services entre eux, or ce calcul n’est pas toujours aisé à établir; la spécificité même du troc induit des disparités parfois énormes dans la valeur de l’échange lui même; par exemple certains biens sont périssables, ils peuvent par conséquent ne plus être « consommables » au moment de l’échange; généralement les services rendus ne tiennent pas compte de l’amortissement des outils utilisés, et externalisent les risques santé, accident, maladie

15en terme d’éducation populaire et de reprise d’un certain pouvoir citoyen grâce auquel les individus vont être en capacité d’exercer par eux même le pouvoir politique qui leur échappe avec les monnaies nationales (cette confiscation ne relevant pas du hasard dans la mesure où elle rend le plus grand service au capital, qui dispose ainsi d’une latitude sans limite, pour gérer cette situation au mieux de ses intérêts), de surcroît au bénéfice du développement local et humain, en recourant à des mécanismes déployés dans le cadre de ce que peut être une économie relocalisée, bâtie sur les choix déjà évoqués précédemment, que sont l’agriculture et les transports

16puisqu’il est bien établi que cette monnaie n’est pas une unité de valeur

17localement en s’associant avec d’autres territoires pour pousser le pouvoir national à prendre les décisions qui s’imposent; nationalement pour instaurer une réforme par le haut, qui s’appliquera sur l’ensemble du territoire national

18où le consommateur se trouve en position d’otage, manipulé par une économie du marketing qui le profile sur des comportements stéréotypés dont l’exécution répétée et répétitive va permettre de capter la part monétaire de cet acte, dans un but non dissimulé de profit maximisé et immédiat

19progressiste est à entendre ici dans son acception de progrès social, écologique et de relationnel humain; ce progressisme là n’établit pas nécessairement de lien direct avec les nouveautés de la techno science dont il se démarque le plus possible, et dont il pense à contrario, que sous certains aspects et pour certains usages, ils sont sources de régression sociale, constitue des outils de domination et font même planer le danger d’une mise en danger de l’humanité en tant qu’espèce du monde vivant, certaines de ses orientations se prévalant même de la création d’une post humanité

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