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Primaire : élire un sauveur ou refonder la politique ? par Thomas Coutrot, Yves Sintomer, Nicolas Haeringer et Geneviève Azam,

Publié le vendredi, 22 janvier 2016 dans A Gauche. . . toute !

Pour alimenter le débat, cette tribune parue dans Libération

En guise de préalable,  ces questions que Jacques PIGAILLEM propose à notre réflexion pour notre Congrès fondateur d’A&A :

  • Peut-on changer le monde à travers les élections?
  • Qu’apporte une présence dans les institutions?

14739911De nombreuses personnalités réclament l’organisation d’une primaire pour les gauches et les écologistes. Cela suffira-t-il pour que les citoyens se réapproprient le débat politique ? 

L’appel «Pour une primaire des gauches et des écologistes» (Libération du 11 janvier) est une bonne nouvelle pour beaucoup d’électeurs de gauche. Il tire un bilan sans aucune complaisance de l’échec de l’actuelle équipe gouvernementale. Il crée l’espoir d’avoir, peut-être, en 2017 un bulletin de vote à glisser dans l’urne sans réticences ni regrets. Pourtant, la tâche est titanesque.

La gauche est en miettes. Elle n’a pris la mesure ni des défis posés par la mondialisation financière et la crise écologique ni par le discrédit du régime représentatif. 

L’exemple de Syriza doit faire réfléchir : la gauche grecque avait résolu son problème d’organisation et de leadership mais est restée prisonnière d’un projet keynésien et de pratiques délégataires largement dépassés. Elle n’a pas démocratisé l’Etat, elle a fait un usage instrumental de la démocratie directe et a, finalement, plié face aux institutions européennes.

Podemos et les mouvements citoyens qui lui sont alliés mettent en œuvre, avec succès, une inventivité politique réelle, notamment dans certaines des collectivités qu’ils dirigent. On peut craindre, cependant, qu’ils ne se heurtent à des obstacles similaires s’ils accèdent un jour au pouvoir national, seuls ou plus probablement en coalition. 

Par an, la France emprunte 180 milliards d’euros sur les marchés financiers pour assurer le service de sa dette publique. Pour mener une politique alternative, même prudente, il faudra s’affronter aux puissances financières et aux institutions européennes. Cela suppose une mobilisation des sociétés civiles en France et en Europe, la capacité à amplifier les milliers d’initiatives citoyennes déjà engagées dans la transition écologique et sociale, une inventivité sociale et programmatique, un renouveau et une déprofessionnalisation de la représentation, l’irruption active des citoyens sur la scène politique, la formation d’une alliance populaire et écologiste sans précédent. 

Une primaire pour désigner un candidat à la présidence peut-elle être un moyen pour avancer en ce sens ? Peut-être, mais à des conditions très exigeantes. 

Car l’élection présidentielle au suffrage universel concentre la légitimité et le pouvoir dans les mains d’un monarque républicain – et plus encore depuis l’inversion du calendrier électoral, qui vide les élections législatives de tout contenu spécifique. 

La personnalisation des débats, la logique médiatique, la dictature des sondages, la nature même de la fonction à pourvoir favorisent les ego et les manœuvres d’appareils, et réduisent les citoyens au rôle de supporteurs. 

Nous ne manquons pas, parmi «les gauches et les écologistes», de figures médiatiques prêtes à jouer à ce jeu de la primaire. Dans cette démarche plébiscitaire, le vainqueur, auréolé des millions de voix reçues au cours du processus, deviendrait presque inéluctablement un obstacle à la prise en charge collective de la refondation du politique. 

Il n’est pas facile d’imaginer comment sortir de ce piège, mais ce n’est peut-être pas impossible. Supposons qu’un large éventail d’organisations et de personnalités de la société civile prenne conscience de la catastrophe qui se rapproche et de l’incapacité des partis politiques existants d’y faire face. Imaginons qu’elles refusent ce qui semble inéluctable et décident de sortir de leur rôle habituel de représentants d’intérêts catégoriels ou thématiques pour appeler les citoyens à auto-organiser une primaire d’un nouveau type, sans refuser l’aide des partis mais sans dépendre d’eux. 

Et qu’elles osent – c’est là le point décisif – proposer aux citoyens de prendre leurs affaires en main, non pas en désignant un leader charismatique, mais en composant une équipe autour d’un projet. 

Organisons alors, aux plans local, régional et national, sur Internet, dix débats thématiques bien préparés (financement de la transition, emploi, agriculture, logement, énergie, revenu garanti, démocratie, discriminations…) qui débouchent chacun sur un texte programmatique et sur l’élection par les citoyens d’un alter-ministre chargé de sa mise en œuvre. 

Et pourquoi ne pas décider que le candidat à la présidentielle sera désigné début 2017 par un tirage au sort entre les dix membres de cet alter-gouvernement, dont chacun aura préalablement été sélectionné par les citoyens sur la base de son expertise, de sa compétence et de son charisme ? Ce candidat tirerait, certes, une part de sa légitimité de cette compétence et de ce charisme, mais surtout du processus démocratique qui aura abouti à l’élaboration d’un programme et à sa désignation comme représentant de ce programme. 

Le tirage au sort entre les alter-ministres rendrait visible le fondement coopératif et non hiérarchisé de tout le processus, son refus de la guerre des chefs et sa rupture en pratique avec la Ve République. 

L’appel pour la «primaire des gauches et des écologistes» est bienvenu car il ouvre un débat décisif. La proposition de primaire citoyenne – pour laquelle le dispositif ici suggéré n’est évidemment qu’une première base de discussion – s’inscrit dans ce débat et répond à la fois à l’urgence démocratique, au renouvellement des pratiques et du personnel politique et à la nécessité de s’engager concrètement, dès maintenant, pour l’abandon du modèle présidentialiste-bonapartiste. 

C’est le moment de réinventer et refonder la politique. Pas simplement de dénicher un «sauveur». 

Thomas Coutrot, Yves Sintomer , Nicolas Haeringer et Geneviève Azam sont chercheurs en sciences sociales et militants altermondialistes 

http://www.liberation.fr/france/2016/01/20/primaire-elire-un-sauveur-ou-refonder-la-politique_1427766

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