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Grèce. Avec l’Unité Populaire face à de nouveaux affrontements, par Antonis Ntavanellos

Publié le lundi, 16 novembre 2015 dans A Gauche. . . toute !

Le débat sur l’orientation de la gauche radicale en Grèce est à un tournant. Il est défini par le commencement du troisième assaut mémorandaire – sous la direction politique du gouvernement de coalition SYRIZA-ANEL (Grecs indépendants), par la question de la possibilité-plausibilité d’une résistance de masse, ouvrière et populaire, et par la question de l’expression politique de cette résistance dans l’ère post-SYRIZA (au sens de post-gouvernement Tsipras, élu en janvier 2015, et de son évolution jusqu’au 13 juillet 2015, date de la proposition qu’il a faite pour un troisième mémorandum). 

L’Unité Populaire (UP) est un «lieu» central dans cette discussion. Parce que, malgré la défaite électorale de 20 septembre 2015 [l’UP a réuni 2,86 % des suffrages, n’atteignant pas le seuil de 3 % permettant l’entrée dans le Parlement], l’UP maintient un nombre important des militant·e·s au niveau national, un effectif organisé de façon, même rudimentaire, en « organisations » locales et sectorielles, des forces militantes faisant référence au marxisme (sous des angles divers) et à une perspective socialiste. Dans ses rangs existe un rassemblement de militant·e·s disposant d’une expérience dans l’organisation des luttes et dans une intervention dite de masse. 

En même temps, l’UP pourrait et devrait jouer un rôle clef : dans le tournant des hommes et des femmes qui se sont détachés de SYRIZA (et qui vont continuer à s’en détacher…), dans la relation de tous ses militants avec les composantes d’ANTARSYA [Front anticapitaliste], mais aussi dans les liens possibles avec des fractions de la basse militante du KKE (PC). C’est pourquoi la discussion au sein de l’UP, en vue de la première Pré-conférence nationale (de fin 2015), mais aussi de la Première Conférence nationale – début 2016 – est de grande importance. Repérons quelques points fondamentaux de cette discussion. 

1°. Le résultat des élections du 20 septembre était une victoire importante des forces mémorandaires et surtout de la direction Tsipras (SYRIZA) et Kamenos (ANEL). Pourtant, cette victoire a été « forcée » : elle a été obtenue avant que les masses puissent faire l’expérience de la concrétisation du troisième mémorandum, avec la promesse de mesures trompeuses de « correction » et d’un programme parallèle d’humanisation de l’austérité, sous la menace supposée du retour au gouvernement des forces traditionnelles mémorandaires de la droite (Nouvelle Démocratie, To Potami, Pasok), et avec le soutien de tout le système politico-gouvernemental, des forces de la bourgeoisie du pays (avec leur emprise sur les médias), mais aussi des « créanciers » (soit Merkel, Hollande, Lagarde, etc.). En ce sens, la victoire de Tsipras et Kamenos le 20 septembre 2015 est instable et minée. 

2°. Les indices d’instabilité sont présents même dans les résultats des élections, ce qui se repère dans : les votes que SYRIZA a perdus en chiffres absolus, dans l’abstention sans précédent, dans le vote antipolitique en faveur de Vassilis Leventis [avec ses 3,43 %]. Mais l’instabilité et l’incertitude dérivent surtout des obligations du gouvernement après l’accord honteux de 13 juillet 2015. 

Le gouvernent de Tsipras et Kamenos est obligé de commencer immédiatement le travail visant à imposer le programme de classe et rigoureux du troisième mémorandum. Les mensonges utiles de la campagne électorale sur les mesures « correctives » et le programme « parallèle » sont maintenant finis. Nous sommes pour de bon, à nouveau, sur le billot du boucher… La démolition du système de sécurité sociale, le racket fiscal des classes populaires, les privatisations rapides et en masse, l’insistance rigide sur la politique de réduction des salaires et des dépenses sociales, tout cela consiste en un programme de soutien aux capitalistes, aux créanciers et en une dégradation de la situation des travailleurs et des classes populaires. Autrement dit, un programme en continuité absolue avec les mémorandums 1 (2010) et 2 (2012). La recapitalisation des banques comporte la gestion des « prêts douteux » (non remboursés) faits à des entreprises, ce qui implique un changement des rapports entre fractions de la classe dirigeante. De telles « opérations » se sont jamais menées paisiblement. Le gouvernement Tsipras va s’affronter à une intensification des rivalités au sein de la classe bourgeoise avec de graves tensions politiques probables. 

3°. L’histoire de la lutte des classes en Grèce rappelle que la résistance sociale à ce type de politiques a déjà conduit au renversement de gouvernements : du gouvernement de G. Papandréou (novembre 2011), de Loukas Papademos (mai 2012), de Samaras et Venizelos (janvier 2015). Il n’y a aucune raison de supposer que, sur le moyen terme, cette résistance soit plus « tolérante » face à l’actuel gouvernement de Tsipras-Kamenos. Pourtant, le fait que l’attaque mémorandaire est cette fois conduite par un parti qui parle au nom de la gauche et qui utilise le « langage » et les symboles de l’anti-austérité implique des tâches particulières. Nous ne pouvons pas et nous ne devrions pas attendre passivement que le mouvement spontané atteigne sa maturité. La gauche radicale doit prendre des initiatives pour aider à surmonter le choc électoral et permettre de retrouver la confiance dans les mobilisations des travailleurs et des jeunes. La décision de l’UP d’organiser des campagnes spécifiques (sur la sécurité sociale, les privatisations, les droits des jeunes) est sur la bonne voie d’une refonte politique. 

4° Une partie intégrante de cette refonte politique réside dans l’élaboration du programme. A notre avis, l’expérience de « l’ère SYRIZA » a mis en évidence quatre piliers qui doivent être pris en compte en tant que plateforme politique unique [du « front » qu’est l’UP]. 

 a) Maintenir l’engagement de renverser les mémorandums pour contrecarrer et abattre l’austérité. 

 b) Pour mettre en œuvre, effectivement, cette perspective : maintenir l’engagement d’arrêter les versements aux créanciers, d’annuler la dette (ou au moins la plus grande partie de celle-ci), de nationaliser les banques et d’abolir des « libertés » fondamentales du capital. 

 c) A partir de l’expérience de Chypre, mais surtout de l’expérience de la « négociation » du gouvernement de Tsipras avec les « institutions » – laquelle a duré sept mois – nous devrons déduire qu’il faut insister sur le choix de sortir de la zone euro ainsi que sur une désobéissance-conflit avec la zone euro et l’UE. 

d) Tous les points mentionnés ci-dessus doivent être intégrés dans une perspective claire, visant à l’émancipation sociale. C’est l’élément qui clarifie politiquement toutes nos demandes, intermédiaires et transitoires, en détachant la gauche radicale des politiques anti-mémorandaires confuses ou semi-bourgeoises. Il est vrai que, durant la campagne électorale, l’UP a souffert d’un manque d’élaboration suffisante à propos de sa proposition de sortir de la zone euro. 

Cette discussion doit avancer et se conclure, non seulement au niveau de la présentation « technique », mais surtout au niveau de l’intégration de notre politique « anti-euro » dans un programme complet de la gauche radicale, soutenant au nom des masses laborieuses une réponse face à l’agressivité capitaliste du néolibéralisme. 

5°. D’égale importance est la réponse de l’UP sur la question des alliances. La proposition d’unité de la gauche politique dans l’action (unité entre l’UP, ANTARSYA et une partie de la base militante du KKE sans abandonner la critique de l’orientation et de la pratique de ses dirigeants) est aussi une condition nécessaire pour rallier et donner une expression politique au « monde de la résistance ». Cette politique ne devrait pas être défendue de manière passive, en attendant que les équipes dirigeantes de la gauche « mûrissent ». 

L’UP doit prendre, de toute urgence, des initiatives qui visent à coordonner les forces de la classe sur les lieux de travail – loin du contrôle de la bureaucratie syndicale –, des initiatives visant à coordonner les forces radicales des jeunes, des initiatives visant à coordonner l’action antifasciste et antiraciste. 6°. Il se peut que le point le plus crucial soit l’image que l’UP donne de la façon dont elle se comprend et configure elle-même. 

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un Front : un front des organisations et des individus, avec un fonctionnement interne clair; un front qui mette l’accent sur les « organisations de base », qui auront des responsabilités et des droits dans leur région, au sein desquelles la participation des militant·e·s sera directe ; des structures où sera appliqué le principe « un membre–une voix » et où les décisions sont prises par une recherche du consensus, ou – si cela est nécessaire – elles seront prises selon le principe de la majorité. 

Nous avons besoin d’un Front, mais nous avons conscience que l’UP est encore « en cours de construction. » Ce qui signifie que nous devons insister sur la nécessité de son élargissement : en direction des groupes politiques qui lâchent SYRIZA, mais aussi vers les groupes politiques de « l’autre » gauche. Ce qui signifie que nous devons mettre l’accent sur l’admission du fait que les décisions politiques et programmatiques, de même que les organes directeurs sont temporaires et ne pourront être formés qu’après la Première Conférence nationale. Une Conférence à laquelle nous aspirons à voir participer plus de militant·e·s que ceux qui ont suivi l’UP dès ses premiers pas, au cours du dernier mois d’août « brûlant ». Il s’agit d’une ambition qui ne peut être servie que par une approche « ouverte » et pleinement démocratique sur la fondation d’un nouveau « lit » commun anti-mémorandaire de la gauche radicale en Grèce. Une fondation qui est absolument nécessaire et réalisable. 

Antonis Ntavanellos, article publié sur le site de Rproject le 24 octobre 2015. Traduction de Sotiris Siamandouras pour A l’Encontre. 

Antonis Ntavanellos est membre de la direction du « front » : Unité populaire ; il est un des principaux animateurs de DEA et du Red Network. 

Le 12 novembre, une journée de grève et de manifestation est appelée par les syndicats, l’Unité Populaire et le KKE (PC). Trois thèmes nourrissent cette première mobilisation quelque 50 jours après la victoire électorale de Tsipras. Le premier a trait aux coupes brutales prévues dans les retraites. Le second, à la compression de l’emploi lié à la vague de privatisations et aux coupes budgétaires. Le troisième, la menace de perdre sa résidence principale si ne sont pas payées les créances hypothécaires envers les banques.

 

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