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dimanche, 26 avril 2015 dans
International
ATHENES – Trois mois de négociations entre le gouvernement grec et nos partenaires européens et internationaux ont permis une grande convergence concernant les étapes nécessaires pour surmonter des années de crise économique et permettre une reprise durable en Grèce. Mais cela n’a pas encore abouti à un accord. Pourquoi ? Que faut-il de plus pour aboutir à un consensus sur un programme de réformes viable ?
Nous et nos partenaires sommes déjà d’accord sur bien des points. Il faut remanier le régime fiscal grec et affranchir les autorités responsables des recettes de toute influence des politiques et des entreprises. Le système de retraite est malade. Les circuits de crédit de l’économie sont brisés. Le marché du travail est dévasté par la crise et profondément segmenté, avec une croissance de la productivité au point mort. L’administration publique a un besoin urgent de modernisation et il faut utiliser plus efficacement les ressources publiques. D’énormes obstacles bloquent la création de nouvelles entreprises. La compétitivité des marchés productifs est beaucoup trop limitée. Les inégalités ont atteint des niveaux scandaleux, et empêchent la société de se rassembler derrière des réformes essentielles.
Ce consensus mis à part, un accord sur un nouveau modèle de développement pour la Grèce exige de surmonter deux obstacles. Premièrement, nous devons nous entendre sur la façon d’aborder la consolidation budgétaire de la Grèce.
Deuxièmement, nous avons besoin d’un accord commun sur un programme complet de réforme qui sous-tendra cette voie de consolidation et suscitera la confiance de la société grecque.
Pour commencer par l’assainissement budgétaire, la première question concerne la méthode. Les institutions de la « troïka » (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international), au fil des ans, se sont fondées sur un processus d’induction à rebours : elles fixent une date (par exemple, l’année 2020) et une cible pour le ratio de la dette nominale du revenu national (par exemple, 120%) à atteindre avant que les marchés monétaires soient censés prêts à prêter à la Grèce à des taux raisonnables. Puis, avec des hypothèses arbitraires concernant les taux de croissance, l’inflation, les recettes de privatisation, et ainsi de suite, ils calculent les excédents primaires nécessaires chaque année, en remontant jusqu’au présent.
Notre gouvernement estime que cette méthode est un « piège à austérité ». Lorsque la consolidation budgétaire instaure un ratio d’endettement prédéterminé qui doit être atteint à un point prédéterminé du futur, les excédents primaires nécessaires pour atteindre cette cible sont tels que l’effet sur le secteur privé mine le taux de croissance prévu et fait dérailler la voie budgétaire élaborée. C’est précisément la raison pour laquelle les plans d’assainissement budgétaire précédents en Grèce ont raté leurs cibles de façon aussi spectaculaire.
La position de notre gouvernement est qu’il faut abandonner l’induction à rebours. Au lieu de cela, nous devons élaborer un plan prospectif fondé sur des hypothèses raisonnables concernant des excédents primaires en cohérence avec le taux de croissance de la production, l’investissement net, et le développement des exportations susceptibles de stabiliser l’économie et le ratio dette de la Grèce. Si cela implique que le ratio de la dette au PIB sera supérieur à 120% en 2020, nous concevrons des solutions pour rationaliser, reprofiler, ou restructurer la dette – en gardant en tête l’objectif de maximiser la valeur actualisée effective qui sera restituée aux créanciers de la Grèce.
Outre convaincre la troïka qu’une analyse soutenable de notre dette doit éviter le piège de l’austérité, nous devons surmonter le deuxième obstacle : le « Piège de la réforme ».
Le programme de réforme précédent dont nos partenaires sont fermement décidés à empêcher « l’annulation » par notre gouvernement, a été basé sur la dévaluation interne, des baisses de salaires et de pensions, la suppression des protections du travail, et la maximisation des rentrées financières liées à la privatisation des biens publics. Nos partenaires pensent que ce programme va marcher avec le temps. Si les salaires baissent encore, l’emploi va augmenter. Pour guérir un système de retraite en difficulté, il faut réduire les pensions. Et il faut élever le prix de vente des privatisations pour rembourser la dette que beaucoup (en privé) reconnaissent insoutenable.
Mais notre gouvernement estime que ce programme a échoué, laissant la population épuisée par les réformes. La meilleure preuve de cet échec est que, en dépit d’une énorme baisse des salaires et des coûts, la croissance des exportations a été plate (l’élimination du déficit du compte courant étant exclusivement due à l’effondrement des importations).
Des réductions de salaire supplémentaires n’aideront pas les entreprises orientées vers l’exportation, qui sont embourbées dans une crise du crédit. Et de nouvelles réductions des pensions ne répondront pas aux véritables causes des problèmes du système de retraite (faible taux d’emploi et importance du travail non déclaré). Ces mesures ne feront que causer des dommages au tissu social déjà endommagé en Grèce, le rendant incapable de fournir le soutien dont notre programme de réforme a désespérément besoin. Les désaccords actuels avec nos partenaires ne sont pas insurmontables.
Notre gouvernement est désireux de rationaliser le système de retraite (par exemple, en limitant la retraite anticipée), de procéder à la privatisation partielle de biens publics, de traiter la question des prêts non performants qui engorgent les circuits de crédit de l’économie, de créer une commission d’impôt entièrement indépendante, et de stimuler l’entreprenariat. Les différences qui subsistent concernent la façon dont nous comprenons les relations entre les différentes réformes et l’environnement macro.
Rien de tout cela ne signifie qu’un terrain d’entente ne peut être atteint immédiatement. Le gouvernement grec veut une voie de consolidation budgétaire qui fasse sens, et nous voulons des réformes que toutes les parties estiment importantes. Notre tâche est de convaincre nos partenaires que ce que nous entreprenons est stratégique plutôt que tactique, et que notre logique est saine. Leur tâche est de renoncer à une approche qui a échoué.
Yanis VAROUFAKIS (Ministre des Finances du gouvernement grec)
Traduit de l’Anglais par Dominique Crozat (Espaces Marx)
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