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Un barrage? Pas n’importe où et pas à n’importe quel prix. Tribune libre de Patrick ROSSIGNOL

Publié le mardi, 3 février 2015 dans Point de vue

Cet article a été publié voici quelques semaines dans « La lettre des élus alternatifs ». Nous la publions dans une version réactualisée par l’auteur, élu d’une (petite) commune rurale.

02 11 14 Sivens conflit  d interetLes derniers évènements du dimanche 1er février 2015 auxquels j’ai assisté et au cours: desquels j’ai subi menaces et actes de vandalisme, m’incitent à m’exprimer, non pour régler des comptes, mais pour clarifier ma position au regard de chacun.
Le projet de retenue de Sivens, à l’origine ordinaire projet départemental, a pris une ampleur nationale. Ces derniers mois j’ai eu à prendre position quant à l’évolution politique donnée à ce projet. Ma réaction repose sur mes fonctions de maire, d’agriculteur et de citoyen.
Ma vision a évolué depuis la fin août concernant la retenue de Sivens. Auparavant je regardais la contestation de ce projet de barrage avec un certain recul, affirmant que l’agriculture avait besoin de retenues d’eau. J’imaginais les opposants, un peu trop pinailleurs et radicaux dans leur prise de position, refusant systématiquement tout projet de barrages. Pour un grand nombre il n’en est rien. Avant tout, à Sivens, c’est le lieu et l’importance donnée au projet qui sont contestés. Avec raison me semble-t-il, surtout après avoir lu le rapport des experts du mois d’octobre.
Fin août, de par mes fonctions de maire, j’ai été choqué par la violence qui s’est

mise en place à Sivens . L’idée que des forces de l’ordre soient utilisées contre des jeunes (et des moins jeunes), pour réaliser un projet qui attendait depuis des années et donc pouvait attendre encore un peu, me semble totalement inacceptable.
Cette jeunesse a un idéal de nature et s’oppose à notre société matérialiste et de consommation. Parmi ces jeunes il peut ou pourrait y avoir nos enfants ou petits enfants.
Nous sommes nombreux à avoir eu notre propre période de contestation vis à vis de nos parents et (ou) de la société. Nous sommes tous critiques sur notre société actuelle en crise, la façon de la gérer. Alors pourquoi cette contestation nous deviendrait-elle intolérable et dangereuse au point d’être réprimée par la force et la violence?…

Je sais que certains « jeunes » sont violents dans leurs revendications et cela n’est pas acceptable. Mais ils sont minoritaires.
L’envoi de gendarmes sur le site de Sivens a provoqué la venue de personnes à la recherche de sensations que procure la « guérilla ». Si la décision d’envoyer des forces de l’ordre n’avait été prise, ces « radicaux » ne seraient pas venus et il n’y aurait eu ni casse, ni violence! La preuve en est faite entre l’ambiance constatée lors du weekend du 25/26 octobre (un mort et des blessés parmi les gendarmes et les manifestants) et celle du dimanche 2 novembre. Le dimanche 2: pas de force l’ordre, pas de casseurs, pas de violence!…
J’ai du mal à imaginer qu’un élu puisse ignorer les risques de violence occasionnée par la présence de gendarmes.

Qui a pu décider d’envoyer les forces de l’ordre alors qu’il n’y avait strictement rien à protéger? Il n’y avait ni mise en danger de personnes, ni de matériel. Malgré ce que certains laissent penser, les inquiétudes et les troubles occasionnés par l’occupation du site n’ont pas créé de mise en danger avant la présence des forces de l’ordre.
Aussi le fait que des élus départementaux, et non des moindres, aient soutenus la décision de l’utilisation de la force m’a choqué et révolté.

C’était dans le cas de Sivens totalement irresponsable. Je ne pourrais admettre que cela se passe sur ma commune!
Je ne peux comprendre comment on peut prendre le risque d’avoir des blessés (manifestants ou gendarmes) et maintenant un mort, juste pour imposer un projet de petite retenue mal étudié.
Certains au Conseil Général, à l’Agence de l’eau savaient très bien, depuis des années, que l’étude fournie était douteuse.
Lors du vote par le Conseil Général, j’ai le sentiment que peu d’élus étaient correctement informés, avaient lu l’étude, écouté les critiques émises, étaient allés sur le terrain… Élu moi même, je sais combien il est difficile de maîtriser tous les sujets sur lesquels nous devons nous prononcer. Nous n’avons pas le temps de lire attentivement toutes les études (de gros « pavés » complexes et peu digestes) que nous devrions étudier avant un vote.
Parfois nous nous positionnons en confiance. J’aurais peut-être moi-même voté pour ce  projet. Je me serais trompé.
Mais depuis, combien se sont remis en question et sont allés à la rencontre des opposants ces derniers temps? Y aurait-il par fierté, un refus de renier un vote, une incapacité à reconnaître que certains ont voté sans fouiner, voire lire le dossier?
Alors, même si la décision est légale et démocratique, sachons reconnaître nos erreurs et les rectifier. Nos électeurs nous en seront reconnaissants. Mais certains élus ont tendance à confondre légitimité et légalité…
Montagnard professionnel et passionné j’ai appris qu’en montagne, parfois faire le bon choix c’est savoir faire demi-tour et rester humble…
Mesdames et Messieurs les élus départementaux qui avez voté et qui soutenez ce projet  j’aimerais être rassuré:
Comment avez-vous pu confier ce projet à la CACG qui, auparavant et à plusieurs reprises, avait déjà démontré son incompétence, pour ne pas parler de ses irrégularités?
La réalisation d’un projet ne devrait jamais être effectuée par l’organisme qui en a fait l’étude.
Comment avez-vous pu accepter un projet de retenue qui coûte 3 ou 4 plus cher que la moyenne des autres réalisations similaires? Le lac de Belleserre auquel je suis rattaché est loin d’avoir coûté ce montant.
Sous prétexte de contrat de concession d’aménagement il semblerait qu’il n’y ait pas eu de mise en concurrence pour la réalisation de cette opération de construction.
Je ne suis pas sûr que votre décision soit considérée comme de la bonne gestion de financement public.
Comment pouvez-vous engager un projet sans avoir l’assurance du financement global?
La part de financement européen paraît bien aléatoire.
Qui va payer? Peu d’agriculteurs s’engageront si le revenu de leur production ne permet pas de couvrir la charge de la redevance eau qui leur sera réclamée. On ne peut accepter des déficits chroniques dans la gestion de tels ouvrages.
Alors à quoi servira ce barrage? Même taille, même but, même exploitant, même maître d’oeuvre, même redimensionnement, le barrage de Sivens a beaucoup de points communs avec son voisin de Fourogue, baignant dans l’illégalité. On nous annonce qu’après quinze années d’exploitation, la CACG déplore à Fourogue un déficit global de 420 000 euros.
Comment avez-vous pu être sourds à certaines remarques concernant le lieu d’implantation de la retenue? Sachant la zone sensible écologiquement, le projet coûteux de par sa configuration et la nature du sol, il semble évident que d’autres lieux etaménagements auraient pu être envisagés.
Comment avez-vous pu laisser la violence s’installer sur le site? La présence de  gendarmes ne pouvait qu’engendrer de la violence. Elle n’était pas nécessaire.
Certains ont parlé de provocation, d’autres de la nécessité de démonstration de fermeté en période électorale (sénatoriales). L’image des élus ne peut qu’en ressortir ternie…
Comment pensez-vous soutenir de futurs projets hydrauliques? En renvoyant la décision de poursuite des travaux au niveau national et vu la médiatisation des confrontations, il sera difficile de déposer d’autres projets, dans l’avenir. Quand certains tentent d’apaiser et inciter les parties à négocier, d’autres parmi vous relancent la polémique. Pensez -vous ainsi vraiment aider l’agriculture?
Par ailleurs, je n’ai pas admis que le Président de l’Association des maires incite tous les élus du département à participer à la manifestation du 15 novembre. Chaque élu était apte à choisir s’il décidait de participer en tant que citoyen. Le fichier de l’association des maires n’aurait jamais du être utilisé pour ce type de message et encore moins être rendu public. Je ne sais pas si c’était une initiative personnelle du Président mais l’heure n’était pas à attiser le conflit.
Des écharpes tricolores n’auraient pas dues apparaître… Je ne manifesterai personnellement avec une écharpe que pour défendre ma commune ou des valeurs humaines et citoyennes.
Producteur de maïs et irriguant, je comprends (avec quelques réserves…) la prise de position de certains syndicalistes afin de défendre notre profession. En effet, même si les besoins ont évolué, il est encore nécessaire de créer des réserves d’eau. Et mieux vaut des lacs collinaires que de pomper dans la nappe phréatique. Mais cela n’empêche pas de réfléchir à une meilleure gestion de l’eau, une valorisation de l’existant parfois sous-utilisé, à des économies.
Par respect du droit de manifester et de s’exprimer, j’ai pu admettre l’organisation d’une
manifestation par des organisations agricoles pour défendre le projet de Sivens, pourtant je continue à penser que le projet ne peut être défendu en l’état de sa présentation d’origine.
Il est étonnant de dénoncer la présence «d’étrangers» au Tarn, des zadistes, alors que les pro-barrages ont fait venir des gens de tout le Grand Sud-Ouest pour faire nombre à Albi!
Chaque jour, chaque camp s’apprête à en découdre. Les rumeurs et les menaces sont quotidiennes. Si certains « casseurs-radicaux » sont indéfendables, les dernières exactions de  « miliciens pro-barrage », toute une journée et sans impunité, en plein cœur de Gaillac sont intolérables.
Les zadistes sont devenus les « Roms » de la vallée du Testet.

Il est étonnant de
constater ce besoin de boucs émissaires pour compenser une frustration, pour certains et
l’utilisation de boucs émissaires par d’autres par besoin d’auto-préservation.
Hostilités, frustrations, persécutions groupales ne peuvent que provoquer l’agressivité
avec des comportements inacceptables.
Je sais, pour le vivre, que toutes les contraintes, normes, décrets imposés à l’agriculture
deviennent insupportables. Beaucoup de petites exploitations seront incapables  d’assumer ces contraintes et seront amenées à disparaître. On va encore favoriser l’agrandissement jusqu’à céder la place à des sociétés de capitaux, au détriment des structures de types familiales.
Les agriculteurs passionnés par leur travail, honnêtes dans leur convictions se sentent méprisés. Il est difficile d’être montré du doigt quand on pense bien faire.
Mais si un certain ras le bol est exprimé faut-il pour autant, développer un corporatisme défensif?
Affirmons et défendons, plutôt, l’idée que nous sommes aptes à « Produire pour nourrir les Hommes, avec des exploitations à taille humaine nombreuses et rentables, selon des techniques respectueuses de l’environnement, des animaux d’élevage et de la santé des consommateurs, riverains et producteurs. ». Phrase tirée d’un tract de la Coordination Rurale que nous sommes sûrement nombreux à revendiquer sans être adhérent à ce syndicat.
Après la 2ème guerre mondiale la profession agricole a su prouver sa capacité à s’organiser. L’organisation professionnelle agricole a été en son temps remarquable.
L’agriculture a su évoluer techniquement comme peu de profession. Elle a su répondre à la demande « produire pour tous, suffisamment et au moindre coût ».
Désorganiser la profession agricole peut laisser la porte ouverte à des multinationales qui produisent et importent à bas coût des produits médiocres. Perdre son autonomie alimentaire peut conduire un pays à gérer des « émeutes de la faim »… Mais nous n’en sommes pas là…
Pour que notre pays conserve une autonomie alimentaire et des prix de denrées raisonnables notre agriculture doit être performante, raisonnée et aidée. Il en va de l’intérêt collectif.
Maintenant une prise de conscience sur l’avenir de notre planète s’exprime. Nous sommes tous conscients que des modifications de comportements, de production et de consommation sont inévitables et nécessaires.
L’économiste américain Kenneth Boulding a prononcé cette phrase restée célèbre :
« Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un
monde fini est soit un fou, soit un économiste. »  En effet comment peut-on imaginer que la
dégradation du « capital naturel » peut être indéfiniment compensée par la production de
« capital artificiel » ?
Il nous faut admettre qu’il y a une part de plus en plus importante de nos concitoyens qui a
besoin d’être rassurée sur son environnement, son alimentation, son avenir. Il est incontestable que certaines craintes environnementales et arguments scientifiques ont de quoi tous nous inquiéter.
Restons à l’écoute. Nous sommes minoritaires et par des positions radicales nous perdrions des soutiens.
Nous les agriculteurs nous devons nous préparer à produire autrement. Et nous sommes
sûrement aptes à produire différemment si la demande est effective. Nous pouvons expliquer qu’aucun agriculteur n’a du plaisir à utiliser une cuve à désherber sachant qu’il est le premier à s’intoxiquer.
Mais il est évident que si le consommateur souhaite des produits d’une qualité autre, il faudra qu’il en accepte le coût et les contraintes. Il ne doit pas ce contenter de remplir son panier de quelques produits « bio » et faire ensuite le plein de produits « conventionnels » dans son caddie…
Soyons honnêtes: pour des raisons politiques (refus de se renier, copinage, période électorale…) certains ont voulu passer en force, la stratégie a été mauvaise. Je pense que le Tarn, la profession agricole, l’image des élus se seraient bien passés de cette publicité!
Sur ce projet de Sivens (et d’autres aménagements aussi discutables) il y a des visions différentes, certaines peuvent être opposées mais d’autres négociables. Il faut accepter de débattre. Débattre ne veut pas dire nier les besoins en eau de la région.
Et maintenant si nous voulons voir se libérer les terrains occupés par la ZAD il serait bon d’accepter et d’affirmer clairement que les travaux sont suspendus et le projet revu. Le doute persiste, crée une méfiance et ouvre la porte aux casseurs en tout genre.
Et pour ne pas me limiter à la critique, je veux bien servir d’intermédiaire, si toutefois je peux être utile.
Je comprends la difficulté à gérer une telle situation. Mais au risque d’offusquer certains, j’ai envie de dire à nos élus, dirigeants départementaux, toutes structures confondues: « Arrêtons la provocation, cessons de jouer les gros bras, remisons un peu de notre fierté et discutons dans l’intérêt général! » Et surtout ne générons pas la violence.
C’est contre cette violence que j’interviens dans le débat.

Patrick Rossignol

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